Bureau du procureur de la République. Neuf janvier 2010.
« Et à qui vous devez présenter vos excuses jeune fille ? ... Vous ne voyez pas ? Vos parents. Vous leur avez causé du tort, beaucoup de soucis. N'est-ce pas monsieur. Cela vous a fait quoi de voir débarquer la police un dimanche matin avec vous annonçant que votre fille à passer sa nuit au commissariat ?
»« J'ai été très choqué, tout mon monde s'est écroulé, j'ai été très
déçu ...
» Il ne me regarda pas, une larme roula le long de ma joue. Il l'avait dit, enfin, depuis tout ce temps.
Une mauvaise blague, une vitrine d'une bijouterie qui casse, des flics qui nous retrouve la nuit même, on était ivre, ce n'était pas si compliqué. Personne n'en a jamais rien su, mis à part mes amis, les intéressés ainsi que mes parents et mon frère. Il ne fallait que personne ne le sache, qu'aurais pensé les gens ? Les Huxley, une famille si ... parfaite.
Seulement la famille Huxley avait bien des travers. Beaucoup même. Mon goût du déguisement vient bien de quelque part. Mon père se tue au travail, préférant passer ses week-ends au boulot plutôt que d'aller au cinéma avec ces enfants. Ma mère est déçue, déçu de ne pas avoir eu la possibilité de continuer ses études, de travailler comme caissière dans un supermarché miteux. Et mon frère souffre d'un complexe de supériorité, aggravé par une légère alcoolémie. Il n'a que 20 ans, et il est déjà le roi du monde, je ne suis que son sujet. Il me protège mais je lui donne une entière soumission. Mais le sujet Marie n'est pas des plus dociles, alors des châtiments corporelles lui sont affligés, c'est pour son bien.
Voilà la triste vérité des Huxley. Bien loin du portrait de la famille parfaite qu'ils s'efforcent de peindre.
•••
« Qu'est-ce que tu veux faire plus tard Marie ?
»« Je ne sais pas très bien encore ...
»« Oh vous savez, elle a toujours ramené de très bonnes notes. Ces professeurs nous ont dit qu'elle obtiendrait très facilement une bourse pour étudier dans les plus grandes écoles. Avec Dan, on pense qu'elle fera une excellente avocate ...
»Je n'ai jamais eu mon mot à dire. Mon frère a fait du judo, je ferais du judo.
Mais maman, je voudrais faire de la danse ! De la danse ! Mais pour quoi faire ? Je n'ai pas envie de devenir avocate, ils ne savent rien de moi, ils ne savent même pas quel est mon plat préféré ... mes parents sont de parfaits étrangers.
Les autres ne me comprennent pas, quand je dis que ma famille est insupportable, que je frais n'importe quoi pour qu'ils s'en aillent, qu'ils décèdent dans un accident de voiture. Qu'ils me laissent enfin seul, me laisser la chance d'être moi-même.
•••
« - Pourquoi tu leur dis pas à tes parents qu'on va chez Luke ? Ils savent pourtant où c'est !
-Ouais, mais Luke était là le soir où on a fini au commissariat, mais parents ne veulent plus -entendre parler de lui.
-Et ... tu le vois toujours ?
-Le voir ?
-Oui, il te plaisait non ?
-On s'entend bien, c'est tout. C'est un bon pote.
-Un très bon pote ...
»Un sourire s'affichait sur le visage enfantin de Joey.
Luke était peut-être plus qu'un ami, mais ce n'était pas de l'amour. Ce n'était pas comme dans les films on dans les livres. De toute façon, je n'ai jamais été doué pour les relations or-amicales. Au premier abord, les gens me trouvent timide, froide, la bonne fille a papa. Oui, je suis parfaite dans mon rôle attribué par ma famille. Je suis sauvage comme le dit si bien Joey. On ne peut jamais être totalement sûr de ce que je vais faire et encore moins de ce que je pense. J'improvise à chaque moment, je déteste les plans, les miens m'ont toujours trahi.
Pourtant je peux être une chic fille. Il faut me titiller un peu pour me voir sourire, mais une fois lancé on ne m'arrête plus. Je fais tous dans l'excès, on m'a trop enfermé, limité. Je n'en peux plus. Je suis une crevarde. Pendant que mes parents me pensent tranquillement dans mon lit à bouquiner, je fais le mur, rejoignant les dévergondés de Bristol. Je ne devrais peut-être pas le faire, ils se tuent au travail pour moi, je ne suis peut-être qu'une ingrate. Mais je n'ai pas reçu l'amour que je voulais, j'ai grandi du mauvais sens. Et même les associations d'enfants maltraités ne pourraient pas m'aider.
•••
Pour certain je vais preuve d'une maturité étonnante pour mon âge. Pour d'autre je ne suis qu'une gamine. Tout dépend de l'heure à laquelle vous me parler. La première qualité du philosophe n'est-elle pas de s'étonner continuellement, comme un gamin ? Ouais, je me suis rendu compte que tu te faisais plus d'amis en te faisant passer pour la marrante de service que pour l'intello de service. J'analyse, j'observe tout. J'ai tendance à avoir une longueur d'avance sur les autres dans pas mal de domaine, sauf quand une bouteille de rhum est passée sous mon nez, mais c'est une autre histoire.
Je suis peut-être la mieux placée pour vous parler de moi. Ou peut-être pas. Je ne me dévoile que très rarement, bien sûr quand j'aime quelque chose ou au contraire le déteste, je le dis haut et fort. Mais je ne dévoile pas mes sentiments, un mur de fer me protège, c'est ma barricade ... mais une barricade facilement cassable. Je suis hypersensible, émotive, ma marraine me le rabâche depuis que je suis toute petite. C'est peut-être pour ça que j'ai su garder mon âme d'enfant, que je peux passer des heures assises sur une chaise, à ne rien faire comme aime à le crier ma mère. Mais pendant ce laps de temps, je rêve, je réfléchis, des milliers de trucs fusent dans ma tête. Ça m'empêche de devenir complètement folle avec ces guerres, cette violence. Je préfère essayer de m'en détacher, c'est peut-être pour ça que je ne suis jamais encore tombé amoureuse, que je me débauche avec des gars différents. A vouloir me protéger, je transforme mon cœur si frêle en un cœur de pierre.