J'ai l'envie de vivre, d'avancer malgré mes nombreuses douleurs, celles que je cache au fond de moi comme une chienne protégerai sa portée.

Je n'ai rien fait pour mériter la mort de ma mère, méningite fulgurante qui l'a emporté en à peine 24 heures, je n'ai rien fait pour mériter les coups et les cries de mon père imbibé d'alcool nuit et jour, et pourtant je subis ces faits, telle est ma triste destinée. Pourtant je vis, j'ai cette impatience de vivre que ressentent les jeunes chiens fous. Je fais abstraction de tous mes soucis, des vôtres et je vis. Lâcheté diront certains, philosophie diront d'autres. Je vis tout simplement, j'oublie la misère d'une vie que je pourrais haïr. Je ris des blagues grivoises de mon oncle, un gros bonhomme qui tient un pub miteux, refuge de nombreux Slaves, refuge de mon père. Il n'aurait jamais dû atterrir ici à Bristol, il n'aurait même pas dû savoir que cette ville existait, mais il a suivi cette étudiante anglaise au regard vert qui l'avait transcendé. L'amour, en quelque sorte. Ils sont aimés comme dans un conte mielleux pour gosse, je suis née, fruit de leur espérance. D'aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours été ... heureuse. Même lorsque mon père pleurait, tenait dans ses bras le corps inanimé et froid de sa défunte femme. « Chante Nush, Chante ! Ne t'arrêtes pas, tu n'as pas le droit. Danse comme si demain tu devais en crever. » Ses larmes trempaient sa chemise bon marché, je ne l'ai jamais vu autant ... chamboulé. J'avais onze ans et pour la première fois de ma vie j'ai été émue, émue par la violence de la vie, la pureté des sentiments que l'on pouvait exprimer envers l'être aimé. Par la douleur. Surtout la douleur. Alors j'ai chanté, j'ai dansé dans cette chambre d'hôpital triste. Ma tête tournait, me faisait malle, les cheveux brouillaient ma vue, mes larmes aussi. Je ne voulais pas vivre ça, la douleur, la tristesse, l'envie d'en finir. Mon père a peu à peu sombré dans la folie, dans l'alcool, essayant même de braquer une banque. Moi je me suis relevée, je suis devenue ... lumineuse ... .La lumière qui éclaire vos nuits.


Le crie de guerre de mon tendre père, toujours à me sourire, à chercher à le rendre heureuse. Mais les passions sont toutes destructives. Je vois son corps se décharné jour après jour, en même temps que sa raison. Beaucoup de mes camarades se sont moqués de moi après sa tentative de braquage de cette banque. Il avait besoin d'argent pour s'acheter ses bouteilles, ne travaillant plus, aucun blé ne rentrait à la baraque. Il s'en est allé un matin et je l'ai retrouvé le soir dans cette cellule grise, mon oncle était furieux, l'a baffé. Je ne comprenais pas, je ne voulais plus comprendre alors je me suis mise à chanter cet air qu'il m'avait appris. Une sorte de comptine de son enfance en Ukraine. Tous les deux se sont mis à rire. Du haut de mes treize ans j'ai compris que je pouvais décider de mes émotions, pleurer à m'en noyer ou en rire à m'étouffer. J'ai choisi la deuxième option, elle me ferait moins souffrir. Ils ont enfermé mon père en prison, mon oncle m'a recueilli dans son bar malfamé. Je suis devenue la princesse de ces loubards et autres désabusés.

Je passe mon adolescence à servir des pintes de bières et à aller voir mon père en taule. Et je ris, je suis joyeuse, je vis. Je suis indestructible, je suis le bambou qui plie mais jamais ne rompt ...