Moi? Je suis le mec derrière chacun de vos shoot. Derrière chaque grammes de poudre que vous vous injectez, que vous sniffez, que vous fumez. Derrière chaque bonbon que vous avalez. J'suis le mec que vous devriez remercier pour vous offrir ces rêves, dont vous avez tant besoin pour exister.

DETROIT – 15 ans.

Quelle ville de merde. Y'a rien à faire ici, si ce n'est trainer dans ces rues délabrées. Detroit n'est plus qu'une vielle catin agonisante, tournée vers un passé glorieux, aujourd'hui perdu dans quelques souvenirs pieux. Detroit aurait pu s'appeler Chicago que rien n'aurait changé. Toujours ces mêmes crétins qui trainent toute la journée, ces arriérés qui se contentent de cette vie qui me file la gerbe. J'erre dans les ruelles, priant pour ne pas tomber sur un chien enragé ou pire, une bande d'humains désœuvrés. Je finis par trouver une planque parfaite, un vieil immeuble abandonné. Grimpant jusqu'au dernier étage, je jette un œil désintéressé aux tags qui parsèment les murs comme d'antiques peintures, prières muettes pour un dieu sans nom. Des numéros sont griffonnés un peu partout, accompagnés de divers adjectifs, tous plus délicieux les uns que les autres... Une folle envie de fuir me prend les tripes. Une envie de courir, loin, loin de cette misère que je ne mérite pas. Mais je me contente de sortir sur le toit. Un vent glacé m’accueille et je la vois, elle, elle qui semble toujours là. Ses cheveux blonds volent dans la brise, je devine un sourire sur lèvres, un sourire qui marque son emprise. Elle continue de fixer l'horizon, semblant ne pas me prêter attention. Elle sait juste que je suis là. « Tu me suis? » « Ça te plairait? » Je sens son sourire qui s'agrandit. Elle finit par se retourner, ses yeux verts plantés dans les miens, me crachant sa beauté terrible au visage. « Peut-être. J'ai besoin de toi, Orpheo. » Elle ne m’appelle jamais Siam. Mon second prénom me va tellement mieux aime t-elle me répéter... Alors pour elle, je suis devenu Orphée. Ses pieds nus effleurent le sol poussiéreux, effaçant la distance qui nous sépare. Elle s'approche, me caresse un instant la joue, me souriant, d'un air si horriblement triste. « J'ai tué mon père aujourd'hui. » Je ne répond rien, caressant à mon tour ses lèvres de mes doigts. Je sais bien qu'avec toi rien ne va. Mais peut importe, je t'aime comme ça... « Si tu savais Orpheo.. - sa voix se brise un instant puis elle se reprend, lâchant un soupir fatigué - comme je suis lasse de tout ça. Lasse de toutes ces histoires. Lasse de ceux qui restent. Lasse de ces lâches. Partiras-tu avec moi? » Et abandonner ma mère? Ma sœur? Ce serait me faire trop d'honneur. Ma main glisse à son tour sur sa joue, s'offrant le luxe de redessiner sa mâchoire pendant quelques secondes illusoires. « Et l'argent? » « Il était riche. Ce ne sera pas un problème... Fuyons par le Mexique, l'Amérique d'en bas nous tend ses larges bras... » Un sac, des poignées de dollars et des rêves plein la tête, nous fuîmes donc, partant à la découverte de ce continent immensément grand.


RIO DE JANEIRO – 17 ans.

J'ai toujours haï mon second prénom. Un peu plus encore quand l'histoire de ma vie se mit à coller trait pour trait à ce mythe, tant répété par ma mère adorée. J'ai toujours eu peur avec Elle. Une peur viscérale, mâtinée d'une fascination sans nom. On pose toujours tout un tas d'adjectifs ridicules pour qualifier cette chose – horrible - qu'est l'amour mais au final, nous oublions qu'un jour ou l'autre cette passion qui nous anime finira par s'éteindre. Mais mon Eurydice, elle, ne s'éteignait jamais. Elle était toujours brûlante entre mes doigts fiévreux, toujours prête à entrainer plus loin mon âme de malheureux.

« Orpheo? Orpheo! » Je souris. Un sourire détraqué. Un sourire de camé. J'suis fatigué Eurydice, fatigué de sans cesse te courir après.. Pour une fois, laisse moi me reposer... Mais ses bras me secouent, elle s'agite, tempête contre ma lenteur, contre mes pensées erratiques. « Orpheo! » Mes yeux finissent par s'ouvrir totalement, contemplant son visage miné. Qu'est-ce qui peut bien l’inquiéter..? « Où tu l'as mise, hein, où? » Ses mains se pressent, fouillent, harcèlent désespérément mon corps qui ne demandent qu'un peu de clémence... « Calme-toi.. Elle est là. » Me relevant un instant je plonge ma main sous l'oreiller pour lui tendre un petit sachet, me laissant ensuite lourdement retomber sur le lit défoncé. J'ai perdu toute notion du temps, les veines rongées par cette drogue adorée.. Depuis combien d'années nous sommes-nous échoués? Depuis combien de temps vagabondons-nous tels de terribles enfants? Il faudrait partir, mon âme, mais en avons-nous encore le temps..? Nos vies fatiguées semblent vouloir périr ici, dans ces sordides quartiers, dans ces maisons de tôles récupérées. Je la contemple se piquer, un sourire extatique apparaissant sur ses lèvres écorchées, et mon dieu, je crois qu'elle n'a jamais été aussi belle... Nous nous contemplons, nos esprits unis dans une folle rêverie. Avant qu'elle n'ai entrouvert ses lèvres, je sais. Et elle sait que je sais. « Partons.. J'en ai assez du Brésil... » « Encore? Encore vendre nos corps à la route? » « Encore, Orpheo, encore... J'ai envie de voir l'Asie.. Envie d'aller respirer le parfum des pavots, envie de me plonger dans une nouvelle vie. Qu'en dis-tu mon amour? » « Et changer de siècle? Je deviendrais un poète déchiré par l'amour de sa bien-aimée? Trouvant son inspiration entre les cuisses des prostituées et les brumes opiacées? » Ma remarque la fait rire, ses doigts viennent s'entortiller dans mes cheveux en batailles, les caressant tendrement. « Oui, ma tendre moitié, c'est de ce rêve dont je parle... »


Ma vie? Une perpétuelle histoire de départs, semés dans le monde par le hasard.

RANGOON – 18 ans.

Je me réveille en sueur, assommé par la chaleur crépusculaire qui s'étend sur la ville. Mon premier réflexe est d'étendre la main vers ma moitié, censée sommeiller à mes côtés.. Mais c'est un vide glacé que rencontre mes doigts terrifiés. « Eurydice? » Aucune réponse. Commençant à paniquer, je tente de l’appeler, encore et encore... Mais le silence seul me répond. Je savais bien qu'un jour, elle me quitterait.. Elle m'abandonnerait au détour d'un chemin, emportant nos souvenirs pour un paradis lointain. Un paradis, ou un Enfer… Quelle importance? Je finis par me lever, la mort dans l'âme, l'âme dans la mort, je ne sais plus et en veux encore... Le salon me paraît bien vide sans elle, la table dévastée par son absence, les chaises en osier crevées par sa désobéissance. Elle n'a pas le droit de me laisser ainsi, bordel, non elle n'en a pas le droit.. L'opium a dévoré ma rage et tous mes sens, ne laissant qu'un gouffre immense. Reviens-moi mon amour, reviens-moi... J'ai beau fouiller notre palais de fond en comble, je ne la vois pas. Seule une enveloppe ivoire que je finit par trouver me rappelle qu'elle a un jour existé... Un mot pour se faire pardonner? Pour tout m'expliquer? 'Ne te retournes pas.' Non, juste une phrase griffonnée pour me demander de l'oublier. Qu'elle aille crever.. Attrapant une veste, je sors dans la nuit, regrettant aussitôt de m'être couvert. La chaleur est suffocante, le ciel lourd, préférant garder précieusement en son sein ses promesses d'orage plutôt que de soulager les pauvres mortels avec un peu de pluie.. Putain de pays.

[…] Une heure plus tard et j'erre toujours dans les rues sales de la capitale, brandissant sa photo à tous les passants, les harcelant pour un petit renseignement.. L'orage promis finit par éclater et je me retrouve trempé, écorché. Ma persévérance finit cependant par porter ses fruits, une vielle femme m'indiquant qu'elle l'a vu entrer dans un petit bar, quelques ruelles plus loin. Marchant vaillamment, je lutte contre mes nausées, tente de ne pas perdre pied. J'ai l'impression que le sol va s'effondrer sous moi, que je vais être englouti dans ce mélange de boue et de goudron fracturé... Mais la terre ne s'ouvre pas, me laissant arriver indemne jusqu'à l'entrée des Enfers. Je ne serais pas surpris d'y trouver Hadès, se donnant en spectacle avec ses pairs... Pourquoi donc suis-je venu jusqu'ici? Des éclats de voix, de la musique, des rires me parviennent de l'autre côté de la porte mais je n'ose la pousser. Les minutes s'écoulent, lentes et veules, immobiles, inutiles.. Et lorsqu'une bonne dizaine d'entre elles se sont envolées, je finis par me décider à entrer. Regrettant aussitôt cette décision pleine de stupidité. On ne voit qu'elle. Elle, elle qui danse sur la table, à moitié nue, sa blondeur peroxydée écorchant ses épaules dénudées, son air candide ravagé par un sourire carnassier. On lui jette des billets, on désire la voir s'incliner, cette putain étrangère. J'esquisse un pas en arrière, comprenant que jamais je n'aurais du voir ça.. Ainsi en plus de nos rêves, tu as besoin de cela. Pourquoi me le faire comprendre aujourd'hui? Ô mon âme, si tu savais comme je hais et adore ta folie... Elle m'aperçoit soudain, descendant de son autel pour me rejoindre, ramassant ses affaires au sol avant de fendre la foule pour me rejoindre. Je veux m'enfuir mais elle me retient, son corps en sueur se pressant contre le mien, comme si tout allait bien... « Alors tu t'es retourné, Orpheo... Tu t'es retourné. » Énervé, je lui attrape le poignet pour l'entrainer hors de ce trou étouffant, la conduisant à l'air libre. « Arrête avec ça... Tu peux m'expliquer ce que tu faisais? C'est ton nouveau délire de jouer les putains? » Son rire me blesse. Immonde traitresse. « Ne sois pas en colère mon amour, rien de tout cela n'est grave... Il fallait simplement ne pas se retourner. Continuer d'avancer... » Un sourire triste apparaît sur son visage et elle lève le bras, pointant le canon d'un colt contre sa tempe. Un colt. Chargé. L'en empêcher? Trop tard pour y songer. Ses yeux me disent qu'elle m'aime, ses doigts qu'elle me hait et ses lèvres... Elles murmurent dans l'obscurité. « Bang. »



INVIDIA – 19 ans.

Elle voulait être acrobate. Elle ne fut qu'une putain aux yeux d’agate. Une putain qui m'a abandonné, dans ce monde fou à lier. J'ai envie de pleurer. La ville de lumière m'ouvre ses bras, je ne les refuse pas. J'ai juste envie de me perdre dans ce monde imaginaire, loin au-dessus de la stratosphère. Regarder ces vies s'agiter, les contempler pour mieux les avaler. Satisfaire tous leurs désirs chimiques, à défaut de leurs rêves psychédéliques.

Invidia est la ville rêvée pour ça. Ça. Entendez par là le trafic de drogues. J'suis pas dealer, juste un simple dream-maker. La vente, le service clientèle, toutes ces merdes, c'est pas mon truc. Je me contente de fabriquer vos rêves. Nouvelles princesses ou anciennes maitresses, elles peuvent toutes alimenter vos délires insensés pour peu que vous ayez de quoi payer. Mais la reine blanche vous manque? Vous avez de la chance, c'est ma spécialité. Je l'ai toujours eu dans le sang. Je veux dire, vraiment dans le sang. Pas de sordide métaphore pour vous faire comprendre mes goût ici, non, rien que la vérité. Ma mère était une junkie. J'sais pas comment j'ai survécu à tout ça, mais j'ai survécu.. Toujours est-il qu'à sept ans, je préparais déjà les fixes de ma mère. Mais pour en revenir à nos moutons transgéniques, les autres poudres old school, ce sera plus délicat, pas impossible, délicat. Quant au Sacrum, à l'H-space, à la Nova, au le Défigeur et à la Laputa, contactez votre dealer habituel. Faites moi confiance, j'suis un auto-didacte, j'ai tout appris pendant mes moment de lucidité, j'ai studieusement étudié la chimie et sa putain de magie. La vérité? J'ai un Don. That's all.