Deux briquets, tous les deux en état de marche. Un paquet de clopes, même s'il est vide. Et sans oublier un peu de monnaie, même pas assez pour se payer une bière.
À part des vieux zippos, des tickets de bus utilisés depuis des mois, ps grand chose. Et le reste, on s'en fout, de toute façon, il ne prend jamais de sac sur lui.
Croyez-moi, vous n'aimeriez pas le savoir.

Tu la vois, cette flamme qui prend naissance dans le brasier et qui finit par disparaître en s'élevant dans les airs ? Elle reflète ton existence. T'avais tout pour toi, mais t'es parti. Un besoin d'évasion, de liberté. Ah ça t'a fait du bien, personne ne pourra dire le contraire. T'as jamais été aussi libre de toute ta vie. Même quand tu t'es retrouvé dans cet orphelinat, t'as pas ressenti ce sentiment. Les kilomètres ont défilé à une vitesse folle, et tu n'as jamais rien regretté. Pas même de l'avoir laissé lui, en pleine autoroute. Qu'est-ce qu'il représentait pour toi de toute façon ? Tu pouvais faire ce que tu voulais de lui, il t'écoutait la bouche ouverture, et tu as toujours aimé ça. T'as toujours eu cette impression de supériorité quand il était à tes côtés. Et maintenant ? Mains dans les poches, clope au bec, tu fixes, adossé au mur, tu fixes l'immeuble en feu. T'arrives pas à comprendre pourquoi les pompiers essayent de l’éteindre, de toute façon, c'est déjà foutu. Les flammes dansent dans tes yeux. Tu ne peux pas détourner le regard, tu es comme envoûté par toutes ces couleurs. La chaleur vient te caresser le visage, tu sens l'odeur du brasier, comme si tu en faisais partie. Tu aurais aimé être une flamme. Naître, tout dévaster sur ton passage, et disparaître aussi simplement. De temps en temps, tu compares ta vie ici, et ta vie là-bas. Ici, tu es un inconnu, là-bas, un roi. Ici c'est la nouveauté, et là-bas, la routine. Ici tu es seul, là-bas, tu l'as lui. Tu soupires, tu retires une main de ta poche et jette la clope terminée à tes pieds. Tu l'écrases, par instinct, puis tu reprends ta contemplation. Tu te sens bien, seulement quand tu regardes le feu vivre. Tu l'envies ce putain de feu. Tu voudrais être comme lui, à un point tel, que tu en as mal. Ta vie là-bas, elle te manque ? Et Gloomy, ne regrettes-tu pas de l'avoir abandonné ? Il n'a jamais rien représenté pour toi. Du moins, c'est ce que tu aimes penser. Tu veux tellement que ça soit vrai, que tu finis par y croire réellement. Ne réussissant plus à faire la différence entre la réalité et le mensonge. Tu ne ressens plus rien. Ni joie, ni peine. Tes sentiments, tu les as enfoui loin au fond de tes entrailles. Si loin, que tu n'arrives plus à les retrouver. Ils sont pourtant bien là, quelque part, encore faut-il que tu réussisses à les déterrer. Tu es comme une vague. Tu t'approches, encore toujours plus. Et dès qu'on réussit enfin à t'attraper, tu nous échappes, d'une façon si déconcertante, que tu en jubiles. Ne pas s'attacher, toujours utiliser. C'est bien ce que tu as fait avec lui. Tu l'as utilisé, jusqu’au bout. Sans jamais chercher à faire quelque chose pour lui, histoire de changer la donne. Tout ce qui compte dans ton petit monde, c'est ta petite personne. Tout ce que tu veux, c'est pouvoir vivre comme tu l'entends. Aucune règle, aucun interdit, tu peux faire tout ce que tu veux. Le monde s'ouvre à toi, tu as juste à faire un pas en avant. Il est à porté de main. Tend là, et tu pourras peut-être saisir ce que tu désires tant. C'est quoi que tu désires le plus au fait ? C'est cette putain de liberté qui t'as fait changer de vie ? C'est un sentiment ? Une personne ? Toi-même tu ne le sais pas. Tu es vide, complètement creux. Tu te fous de l'avenir, ton passé s’efface et le présent, c'est comme si tu étais un simple spectateur. Parfois, tu te fais peur à toi-même. Tu te dis, que tu n'es pas normal. Que cette inhumanité dont tu es si fier, te manipule, autant que tu manipules ton beau petit monde. Au fond, tu voudrais savoir comment enfin emplir ton existence. Tu voudrais vibrer, comme ces flammes qui s’allongent. Finalement, tu te décolles du mur et tu marches dans les rues désertes de la ville. Les passants se sont attroupés autour de l'incendie, comme tu l'as fait. Maintenant, tu te retrouves encore une fois seul. Et tu te demandes si c'est réellement ça que tu veux. Tu te demandes comment, tu pourrais combler ce manque qui se creuse depuis plus d'un an.