rien, la plupart du temps. ou bien son i-pod, toujours relié à un imposant casque cerclant son cou de cygne. un briquet, aussi.
un vieux téléphone, un paquet de chewing-gum, un portefeuille en cuir usé. des clés. des clopes. parfois de quoi peindre. un carnet à dessin. de quoi s'attacher les cheveux. un crayon noir. des trucs de fille, des trucs d'artiste.
pas grand chose, si ce n'est une poussière accueillant quelques carcasses de tubes de peinture vides. des bouquins déjà lus, ou vite abandonnés. peut-être une bouteille asséchée ayant roulé là après une petite soirée arrosée.

L’éclosion liquéfie les dernières pensées lucides. Ses arborescences fantasmagoriques enroulent mes sens de leurs couleurs tentaculaires, entourloupent la raison quand elles diluent dans mes veines leur folie antipathique. Que sais-je de la déchéance qui me tente, alors que seul Mozart implose dans cette bulle artificielle où jaillissent fleurs psychédéliques et formes improbables ; que sais-je des germes néfastes que je sème dans ces veines délavées par l’illicite, pulsant sous l’effet des pilules qui m’illuminent et m’élèvent dans cette transe incommensurable. Qu’importent les conséquences, quand l’Art est à son paroxysme ; quand je ne suis plus que teintes criardes jetées sur le lin d’un pinceau fanatique, habitée par la frénésie d’une imagination débordante. Quand je ne suis plus que la toile et l’aquarelle, la brosse qui trace les affres de ma perdition sur la blancheur opaque du grain, le corps désarticulé porté par la musique et les mirages de mon havre personnel. Les lèvres sentencieuses qui m’ont éconduite, chassée de ce lycée où mes dires anarchiques et plaisirs illégaux n’entraient pas dans un moule trop étroit pour l’esprit libre qui me hante, n’ont fait qu’éroder les dernières retenues, me précipitant dans l’abysse où j’ai trouvé l’inspiration ; dans l’étau d’une folie qui faisait danser sous mes doigts des esquisses, des toiles atteignant enfin l’essence du Beau. Attirant les regards au creux desquels luit l’admiration ou le malaise et les cerveaux qui s’y collent, sucent la couleur huileuse pour y deviner un sens depuis longtemps oublié. Je ne suis pas ce corps de jeune femme de dix-sept ans, je suis cette âme croquée par le divin qui la guide jusque dans la sublimation la plus totale, sous l’emprise du monde et d’une liberté impétueuse, possédée par les cachets autant que par ces forces supérieures me plongeant dans le souffle de l’Art. Je ne suis pas ces formes féminines que beaucoup rêvent d’emprisonner sur la glace de leur papier photo : je suis artiste. Artiste.

Artiste, jusque dans l’immensité que personne ne me volera, tandis que je vole, moi, aux traits du monde, l’éclat insoupçonné ; l’angle qu’aucun ne distingue dans sa brume, à travers les œillères de l’habitude, de la quotidienneté – ou la mort de l’artiste. J’appose sur le chanvre la dimension éternelle, l’assonance du silence qui perce la nature pour se complaire dans l’élévation fougueuse. Le paradoxe distille son ironie lors que je constate vivre aussi dans la routine, alors même que mes pensées franchissent les barreaux pour forcer l’éternel, déréglant la boussole qui se perd dans mes dess(e)ins psychotropes. La routine est la même depuis mon exclusion : pilules, peinture. Vivre, c’est habiter un autre. L’autre, c’est par l'interdit qu’il s’immisce dans ma chair, lui l’invisible fait d’abstraction, la couleur et l’ombre, la lumière et l’oubli ; je deviens son pantin, le pantin est dépendance, la dépendance m’attache aux méandres de ma drogue, et rien d’autre n’importe plus que tout cela : pilules, peinture. Plénitude. L’inspiration qui pulvérise mon âme et repeint de son sang la toile blanche, me vaporise dans ces paysages, ces souvenirs, ces illusions, cette folie. C’est la brève ascension vers l’Art, que je touche du bout des doigts avant d’essuyer la longue descente vers cette réalité trop calme, trop terne, trop banale. L’Art redevient source inatteignable à laquelle je rêve de m’abreuver, tandis que je redeviens ce corps, cette fille si simple qui cherche encore un endroit où apprendre à monter plus haut encore, un maître qui lui indiquera comment entrer dans l'insensible, là où le vrai côtoie l’éternel, océan exaltant de l’artiste, dans lequel j’aspire à me glisser jusqu’à la fin.