Je l'aime pas, cette salope. Elle pue la naphtaline et le poisson séché, on dirait qu'elle pieute dans une poissonnerie des bas-fonds de l'Irlande. Qui doit aussi faire pressing pour distributeur de bonbons à marmot (j'suis poli, prof qui aime les n'enfants ça ferait con pour une assistante sociale). Et ouai, parce qu'elle est assistance pour inadaptés sociaux, la bête. Je dis bien, la bête. 1m87 au garrot, une robe à fleurs taillée dans les napperons de mémé Gertrude et des sabots taille 43. Elle flanquerai volontiers les j'tons, si son accent de docker (et l'haleine qui va avec) ne détruisait pas toute émotion excepter le repli sur soi. Si seulement j'avais conservée la jolie brune, coupe au carré légèrement plongeante et jean-chemisier juste suffisamment près du corps. Elle avait l'air gentille, en plus, pas oscillante entre la hargne et l'agacement. Cette vieille pie a dut voir tellement de jeunes maltraités, oubliés, insolents qu'elle en a oublié la compassion normalement nécessaire pour son boulot. Elle me traine presque hors de sa voiture, sifflant pour la énième fois qu'il faut que je coupe ma console. “ La politesse, penses aux jeunes qui n'ont pas de famille pour le recueillir après un drame, blabla, bla, blablabla... ” C'est drôle comme le mot drame prononcé de cette manière ressemble fortement à chaise, ou saucisson. Mais passons. J'hausse les épaules et baisse un peu la psp sans l'éteindre, me contentant de couper momentanément le son. La vérité, c'est que je suis mort de trouille. Je comprend pas pourquoi on m'envoi là, tout c'qu'on m'a dit, c'est que mon parent le plus proche avait accepté de s'occuper de moi. Le problème, c'est que dans mes souvenirs je n'avais jamais eu que ma mère. Et Hadès. La première a finie au bout d'une corde, sans que franchement ça me surprenne. Le second m'a... Et parti. Nous pénétrons donc dans un immeuble tout c'qu'il y'a de plus banal puis grimpons dans un ascenseur. N'aimant pas spécialement ce genre d'endroit clos et potentiellement mortellement dangereux, je me reconcentre sur ma partie en rallumant la musique. Le jeux me permet de décompresser, quasiment instantanément. Mais madame Liouris n'apprécie pas du tout cette nouvelle marque de piétinement de son autorité et m'arrache la console des mains aux moments où les portes s'ouvrent. Je grimace, l'angoisse me tordant soudain le ventre avec une intensité toute particulière. Oubliant de réclamer mon bien je la suis dans un couloir jusqu'à la troisième porte à gauche. Nous nous stoppons sur la palier et elle appuie avec fermeté sur la sonnette. “ Tu as vraiment de la chance Andrew, que ton grand-frère est bien voulu s'occuper de toi. ” Personne ne m'appel plus Andrew bon dieu, même pas les profs au ly... Attendez, mon, grand-frère ?! Quoi ?!!

Une mauvaise blague, voilà ce qui vient de me tomber sur le coin du baigneur, comme une avalanche en plein été, une boite de Nesquik pleine d'asticots. Une foutue mauvaise blague, ça ne peut pas être autre chose. J'entre-ouvre la bouche, laissant s'échapper un "quoi" éraillé. Ma voix est blessée, elle a rouillée entre mes lèvres trop souvent fermées. Chaque fois c'est pareille, si je ne connais pas ma réponse d'avance, c'est les sentiments qui parlent. Seulement ils n'ont plus, du tout, l'habitude de s'exprimer. Ça donne alors un borborisme de Troll solitaire, pas le genre de truc engageant. Mais l'assistante sociale n'a même pas le temps de me répondre, déjà la porte s'ouvre. “ Andrew ? ” Je m'appel Gloomy. Mon premier réflexe est de me dissimuler derrière la robe à fleur, reculant d'un pas nerveux. J'ai la tête enfoncé dans les épaules, je ne comprend pas ce qui se passe. Je ne veux pas le comprendre, d'ailleurs. Je veux qu'on me laisse retourner sur le divan défoncé qui trône dans la salle d'attente du centre d'aide social. Ici je pouvais me replier sur moi sans que ça gène personne. Aspiré par des pixels et des mélopées répétitives je pouvais tranquillement effacer la réalité. Les doigts qui s'engourdissent sur les touches, les écrases encore et encore et encore et encore. Comme des insectes qu'il ne faut pas laisser respirer sinon ils s'échappent, vous volettent dans le nez et finissent par vous becter de l'intérieur. Les salops. À la place pourtant de cet oublie salvateur, j'me retrouve comme un mioche, tremblant dans les pattes velues d'une tante agressive, pour rencontrer un frère qui est faux. Parce qu'il ne peut être que faux, n'est c'pas ? On ne peut pas m'avoir caché l'existence d'un truc aussi énorme, non, c'est impossible. Un soutien comme ça, on ne le refuse pas à un chiot perdu. Sentant une drôle de colère monter en moi j'entend cependant l'assistante sociale se présenter puis me présenter au jeune homme dont je distingue les pieds. Ensuite elle me traine dans le vestibule. “ Monsieur Langdon, je m'excuse d'avance mais je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai beaucoup de travaille voyez-vous ? Avez-vous donc les papiers nécessaire ? Toutes les affaires d'Andrew seront à aller récupérer au centre social si tout es en ordre, en début de soirée disons. ” Moi je tremble, toujours en retrait. Et j'évite scrupuleusement le regard de l'un comme de l'autre, m'en foutant qu'on attende une quelconque réaction de ma part, ou même un simple bonjour. Je me répète en boucle que je ne veux pas être là, que je ne suis pas là, que je rêve, défoncé encore une fois, sur un matelas de journaux humide.