Une ou deux pièces de monnaie, peut-être même un billet froissé au fond de ma poche droite. Toujours un briquet en état de marche, souvent emprunté mais jamais rendu à son propriétaire. Mon portable, pas qu’il me soit indispensable mais je ne supporte pas de sortir sans l’avoir avec moi. Mon paquet de clopes quand j’ai de quoi me le payer.
Tout mon bordel qui me suit à longueur de journée. Mon tabac à rouler, mes filtres et mes feuilles. Mes slims aussi, avec des pochons, pleins de préférence. Mon Diana F+ avec des pellicules, j'en ai toujours deux ou trois d'avance. Mon porte feuille qui ne se ferme même plus ainsi qu’une bouteille d’eau ou de bière, c’est au choix. J’emmène aussi avec moi mon trieur, bien léger pour cette époque de l’année, avec un bic quatre couleurs. Avec ça traîne ma trousse de maquillage et un paquet de granola.
Des moutons de poussière, mes pantoufles et surement un tas d’objets perdus.

Putain, voilà qu'il se met à pleuvoir. Encore. Je regarde les gouttes s'écraser contre les vitres du bus, je parie intérieurement sur la première qui atteindra le bas de la vitre quand le bus ralentit et s'arrête. Je lève les yeux vers ma petite cité HLM à moi, c'est mon arrêt. Je sors du bus et cours jusqu'à l'entrée de mon immeuble. Il pleut des cordes et mes cheveux se collent sur mon visage, quelle merde ce temps. Je rentre dans l'immeuble après avoir tapé le code -4060- à droite de la porte d'entrée. Course effrénée dans la cage d'escaliers, je manque de tomber à cause de mes semelles trempées qui glissent sur le carrelage. J'arrive pourtant saine et sauve devant ma porte d'entrée, je la déverrouille et rentre. Du bruit dans la cuisine, pas normal, d'habitude je suis seule à la maison à cette heure-ci. Il n'est que 16h. Je vais pour ouvrir la porte de notre cuisine quand celle-ci s'ouvre sur ma mère. Elle sort, se pince les lèvres et me fait signe de la suivre dans le salon. Puis elle commence à parler, je m'assois et elle commence à pleurer. Je regarde ses larmes dévaler ses joues, ses yeux rouges, ses cils emmêlés et son mascara qui coule lui-aussi. Elle me dit qu'elle a trouvé mon journal intime, qu'elle ne voulait pas vraiment le lire, que c'était par simple curiosité. Elle me dit qu'elle voulait juste savoir. Si j'avais un petit-copain, si les cours se passaient bien, on ne se parle pas trop à la maison. Elle me dit qu'elle ne s'y attendait pas, qu'elle s'en veut, qu'elle aurait dû être là pour me protéger. Je me mets à pleurer moi aussi, immobile, en silence. Elle continue de parler, elle vomit tous ces mots comme une averse sans fin, un déluge. Elle les crache les uns après les autres sans s'arrêter, comme si elle ne pouvait plus s'arrêter. Tout se mélange dans ma tête, tous ces mots s'emmêlent et dansent dans mon esprit. Puis je réalise. Maman sait. Maman sait, maman vas me protéger. C'est fini. C'est la fin. Cette phrase résonne en moi comme aucune autre, de plus en plus fort. Puis elle me prends dans ses bras, elle me serre fort, trop fort même. J'ai l'impression d'étouffer mais je voudrais que cette étreinte ne cesse pour rien au monde. Maman est là, je suis là, tout iras bien maintenant. Maman est là. Elle se recule et me regarde droit dans les yeux. Son regard me trouble, elle à l'air si fatiguée, si inquiète. Je peux lire la peur dans ses yeux, pourtant elle n'en montre rien. Nous allons partir. Loin d'ici, en Angleterre. J'ai une amie qui peut nous trouver un appartement là-bas. Ton... ton père ne vient pas, nous avons eu une discussion, il est parti. Nous allons partir ma chérie, une nouvelle vie nous attends de l'autre côté de la mer du Nord. On sera toutes les deux, je serais là, avec toi. Tu ne seras plus seule, je te le jure, je te le promets.


Trois ans. Trois longues années sans voir mon père. Trois longues années loin de mon pays, loin de ma ville, loin de chez moi. Le temps passe mais je n'oublie pas. J'ai toujours des traces au fond de moi, je me réveille dans la nuit avec le poids de son corps sur moi. Il est loin, très loin, il ne reviendra pas. Alors j'essaye d'aller de l'avant, d'aller vers les gens, d'aller vers les hommes. Mais je n'y arrive pas. Parait qu'les gens disent que je suis qu'une petite vierge effarouchée. Parce que j'ai jamais embrassé d'autres hommes que lui, parce que j'vais à l'église au lieu d'aller cours. Mais c'est faux. J'efface son visage dans mes volutes de fumée, je gomme ses gestes imprégnés dans mon esprit, mais chaque soir il revient.