Juste un vieux mouchoir en papier et son téléphone portable.
Un paquet de mouchoir, porte-monnaie à moitié vide car la plupart des pièces sont au fond de ce même sac, porte-feuille, clés de la maison, IPod, deux stylos, un noir et un bleu, un ou deux livres qui changent presque tous les jours. En ce moment : les Maximes de La Rochefoucauld. Si elle emporte son sac de cours, on retrouve les mêmes objets avec en plus des livres pour étudier, une pochette sur le point d'exploser, un bloc-note, plusieurs feuilles volantes.
Des livres abandonnés, un cahier où elle écrit ses pensées, quelques paires de collants déchirés, des sacs en plastiques vides, d'autres remplis de livres. Il peut s'agir de romans, de recueil de poésie, de livres pour ses cours..

« Mademoiselle Ramanov, vous devez prendre vos médicaments. » Qu’il aille se faire foutre pensait-elle, j’en ai pas besoin, j’suis pas comme ça, j’suis pas malade, j’en ai pas besoin. « Mademoiselle, vous allez bien ? » Non, elle n’allait pas bien. Personne ne lui avait prévenu que grandir était aussi difficile. Elle ne s’attendait pas à un monde féerique pour autant. Elle est intelligente Deliska. Elle retient très vite ce qu’elle entend où ce qu’elle lit. Elle aime apprendre. Mais dans ce lieu qu'on appelle réalité, on ne lui apprend rien. Sauf qu’elle est malade. Qu’elle est dépressive. Qu’elle est là pour qu’on prenne soin d’elle. Elle est intelligente Deliska. Elle sait que ce ne sont que des paroles consolatrices destinées à engourdir l’esprit des patients. Elle est une patiente. Une patiente de ce docteur aux cheveux poivre et sel et au visage impeccablement rasé, trop bien rasé pour être innocent. Il doit tromper sa femme songea-t-elle. Deliska pense énormément. Elle parle très peu. Les personnes silencieuses ont l’esprit le plus bruyant avait dit Stephen Hawking. En attendant, elle observe. Résultat de cet observation : l’être humain est partout, mais pas l’humanité. Cela avait conduit la poupée de porcelaine qu’est Deliska dans une forte dépression. La séparation de ses parents il y a six ans fut une sorte de déclencheur. Déjà à cette époque elle aurait dû se douter que le monde ne lui ferait pas de cadeau. Des tas de couple se sépare, cela fait partie de l'ordre des choses, elle l'a maintenant appris. Rien n'empêche que cela perturbe fortement le train-train quotidien de tout individu banal. Ce que nous sommes tous. Deliska l'a bien en tête. Tout être humain qu'elle croise est ordinaire. « Vous pensez pouvoir allez mieux sans, par expérience je peux vous assurer que des tas de gens ont essayé, ils ont tous échoué. Voulez-vous vous sentir mieux, mademoiselle Ramanov ? » Non, bien sûr qu’elle ne voulait pas. Elle voulait croupir dans sa détresse sans jamais en sortir et finir abandonnée sur le bord d’un trottoir. Certains médecins peuvent être cons puissance mille. Les yeux émeraude de la jeune femme se posèrent délicatement et doucement sur son médecin. Elle ne ressentait qu’indifférence. Elle s’en foutait royalement de sa personne à vraie dire. Ses parents le payait une fortune, c’était tout ce qui intéressait ce genre d’individu. Le fric, le fric, le fric. Elle allait les prendre. Elle allait finir par les prendre ces pilules. Parce que je suis faible pensait-elle, parce que j’en peux plus de cette pression. Elle a tenu bon pendant vingt et un ans. Elle a chuté. La lumière ne l’atteint plus. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle ne l’a jamais atteint. Le genre humain a gagné. Il l’a tué.

Chez elle, elle observa la petite boite ouverte et remplie de petite pilule blanche près d’un verre d’eau à moitié vide. Elle était seule, son frère était sorti. Elle aimait tant son frère. Si elle voulait se sentir mieux ? Oui, uniquement pour lui. Elle allait prendre ses médicaments. Les prendre et aller mieux. Le monde ne changera pas, il est trop tard pour cela. C’est elle qui allait changé. Elle ne s’ouvrira plus aux autres. Se donner entièrement à quelqu'un est trop dangereux car le prix à payer est trop dur à supporter. Jeune femme fragile est frêle que tu es, tu resteras fermée, à quiconque voudra t’approcher. Ainsi, je ne souffrirai pas, pensa-t-elle, ainsi, on me laissera tranquille, on ne m’approchera pas, la seule personne sur qui je peux compter, c’est moi. Trop longtemps on a abusé d’elle, trop longtemps on a profité d’elle, cela suffit. D’un geste vif, elle prit le verre d’eau, deux petites pilules blanches et les avala d’un trait. Bientôt, tout ira mieux.

Bientôt, tout ira mieux. Telle une sirène au sein des coraux majestueux, telle la reine des glaces foudroyant ses prétendants d’un regard gelé, elle se délecte. Son médecin lui prescrit sa motivation. Bientôt, tout ira mieux. Elle n’est plus en dépression, mais la joie de vivre ne doit pas être trop proche. Le tout est de s’inscrire dans un état de perpétuelle évolution. Ne pas stagner. Savoir être dans le juste milieu. Bientôt, tout ira mieux. Ses parents ne savent rien. Son frère se doute de quelque chose. Il vit avec elle, c’est dur de cacher quelque chose d’aussi essentiel à sa vie à quelqu’un qu’on aime tant. Mais c’est pour son bien, songea-t-elle, car bientôt, tout ira mieux.
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