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| Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé | |
| Auteur | Message |
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Invité
| Sujet: Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé Sam 20 Nov - 22:55 | |
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Il y a des trucs que je comprend pas. Comme par exemple, pourquoi les junkies sont toujours obligés de se regrouper en bande, voire même en meute parce qu'on se connait tous, dans des endroits insalubres. Ca fait animal, ça fait rejet de la société. Moi, j'rêve de grands espaces peuplés de junkies, avec des sols en coton, pour qu'on puisse se laisser glisser sans crainte après le flash, qu'on s'endorme au chaud et qu'on se réveille pas avec le dos cassé. Et aussi, j'rêve de lumière, parce que les squattes, même en pleine journée, les volets sont fermés et on se marche les uns sur les autres. Ca nous fait pas mal sur le coup, mais une heure après, tu le ressent le poids des cinq personnes qui ont stationnées sur ta jambe. C'est des trucs que je comprends pas. J'en ai parlé à des types du squatte l'autre jour, mes colocataires d'un matelas rongé par les mites. Y en a un qui a rigolé. L'autre il m'a pris au sérieux et il était d'accord avec moi. Il m'a dit que son père avait un oncle qui fabriquait du coton dans les îles Galapagos et qu'il ferait venir le tout par voilier. Donc dans quelques jours, on aura le plus chouette terrain de défonce du monde. Enfin pour l'instant, le sol est toujours aussi dur, l'ambiance est toujours aussi froide et délabrée.
J'ouvre les yeux, sortant de mes rêveries … émergeant peu à peu d'un coma de bonheur pur. Je me sent toujours un peu mou après mes shoot. Un peu comme après une grosse cuite, la langue pâteuse, les paupières lourdes, les jambes engourdies. La seule différence, c'est que ce n'est pas désagréable, au contraire. On dirait presque que le corps et l'esprit se sont définitivement scindé. Grand combat de chairs. Mon corps est presque douloureux, engourdi, presque pourri. Mon esprit, lui, est loin, bien au dessus de tous les tracas futiles de la vie, grande course contre la montre. Je n'ai peur de rien, aucune angoisse, tout semble limpide et tellement irréel. A mi chemin entre le royaume de dieu et les portes de l'Hadès. Il est impossible de décrire le pouvoir de l'héroïne. Surtout quand celle ci est injectée à un homme déjà atteint de troubles psychologiques.
Il faut que je m'en aille, que je parte de l'environnement de mort du squatte. Que je retrouve la vraie vie, celle d'êtres vivants, qui bougent, qui parlent … Je me lève, le souffle coupé par une certaine angoisse. Je traverse la salle assez rapidement, clope coincée entre les lèvres. […] Mes pas m'ont porté jusqu'à sa maison. Sur la boîte au lettre, il y a marqué son nom, en lettres caligraphiées. Honeywell. Ca fait très propre, très correct. Je pousse la grille d'entrée et sonne à la porte. Une femme m'accueille, me demandant mon nom et ce que je veux. « Theresa ? ». Elle bafouille, m'apprend que la vraie Theresa, sa fille, est dans la bibliothèque. Elle se pousse pour me laisser passer, marmonnant quelques mots que je ne comprends pas. J'arrive enfin dans ce qui semble être la plus grande des salles de la maison … des étagères remplies de livres. La brune, au milieu, à l'air minuscule. Je m'approche d'elle doucement, n'osant pas dire un mot pour signaler ma présence déjà inappropriée au style du quartier.
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Invité
| Sujet: Re: Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé Dim 21 Nov - 13:11 | |
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La bibliothèque familiale était mon univers. Je m'y perdais entre les immenses et interminables étagères remplient de livres, fruit d'une longue récolte déjà commencer par mon grand-père. Je n'ai jamais eu la chance de le rencontrer, mort trois ans avant ma naissance d'un IVC.
J'y étais depuis une bonne heure, mes yeux parcouraient les lignes d'Oliver Twist. L'un de mes romans préférés, gamine je me rêvais faisant partir de la bande à Faguin, chaussé de godillot miteux, mangeant du pain volé ... ma mère le détestait, elle n'avait jamais rien aimé d'autre que les sœurs Brönte, livre à l'eau de rose parfaitement bien dissimulé pour jeune fille en fleur se jouant de leurs air cultivé. Je me suis mise à détester tous ceux qui constituaient son micro monde, de la littérature aux films en passant par ses maris, ses amis, ses fils ... tout. Rien ne trouve grâce à mes yeux. Il fut un temps où j'aimais jouer avec ses cheveux, les voir danser dans le vent, virevolter et s'éclairer d'un roux flamboyant au soleil. Puis elle s'est remarier et s'est décolorée les cheveux d'un blond criard.
La bibliothèque était le seul endroit calme et serein de la maison, mes horribles demi-frères ne s'y aventuraient jamais, de peur qu'un de SES livres ne les gobent. Je ne les ai jamais entendu prononcer mon nom, toujours ELLE. Ils ont surement dû sentir que je les détestais, que j'étais différente des autres soeurs, qu'ils ne pourront jamais jouer avec moi, si ce n'est leur vie. Je n'ai eu aucun scrupule en les laissant jouer avec un briquet, espérant de toutes mes forces qu'ils brûleraient cette fichue maison, je n'ai eu aucun remord en les guidant vers le trottoir d'en face pour qu'ils se fassent faucher par une voiture. Mais un ange gardien doit veiller sur eux, ils sont toujours en vie, intacts et innocents. Ils respirent la joie de vivre alors que je ne suis plus qu'une fillette inanimée.
Le parquet craqua, me sortant de mes songes. Je savais qu'il serait revenu, je l'avais vu dans ses yeux la première fois qu'il avait pénétré dans cette pièce. Merveilleux appât que cette bibliothèque.
« - Ma mère ne t'a pas trop enquiquiné ? »
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Invité
| Sujet: Re: Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé Dim 21 Nov - 16:50 | |
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Mes yeux ne semblaient pas vouloir quitter le parquet, refusant de se perdre entre les centaines de livres entreposées dans la bibliothèque. Comme un malaise. C'était peut être l'accueil de la génitrice qui m'avait déstabilisé, j'avais toujours du mal avec les personnes plus âgées. Une sorte de complexe d'infériorité absurde, sûrement crée par l'absence du père et la castration d'une mère frigide et sans cœur. Ce n'était pas l'intérieur assez bourgeois qui me gênait, mais vraiment l'ambiance. J'aurais du me faire une trace avant d'entrée, j'aurais pas eu cet air de gamin apeuré. « Ma mère ne t'a pas trop enquiquiné ? ». Je relève finalement les yeux, esquissant un sourire. Ça semblait naturel, que je sois là, dans sa bibliothèque, alors notre rencontre c'était faite dans un squatte. Une rencontre bidon. Je l'avais appelée fille à papa, elle n'avait pas rétorqué et était partie vexée. Et c'était moi qui était revenue à elle : pas pour des excuses, ni pour avouer mon coup foudre ou quoi que ce soit. Mais j'étais revenu, droit comme un i devant elle, un demi sourire dessiné sur les lèvres. « Non, elle est charmante. »
Je dépasse Theresa, m'arrêtant devant un rayon de livre, et pose mes doigts sur la reliure du plus gros. Ils sentent le vieux, les pages usées à force de lecture et de relecture. J'aime cette odeur, et la sensation granuleuse sous mes doigts. Sollers, Kessel, Pennac, Quignard, Camus … je passe furtivement en revue les noms avant de m'arrêter sur un, et de le prendre avec moi. Laclos. Mon préféré. Un génie de littérature. J'avais peut être l'air d'un fou échappé de l'asile, avec mon teint pâle, et mes cernes grisâtres, mais j'avais reçu une éducation. Ou plutôt, je m'étais fait mon éducation. J'avais longtemps été ce petit garçon, que les autres à l'école pointe du doigt en criant c'est lui, c'est le fou, quasi incapable de se faire des amis. Mes après midi c'étaient passées à la bibliothèque, caché entre le rayon des romans français et celui des philosophe, à lire des mots que je ne comprenais parfois pas, à m'inspirer des aventures de certains héros, et parfois à les vivre dans mes trips.
Je revenais sur mes pas, m'asseyant en tailleurs près de la chaise de Theresa. Elle me surplombait, visage encadré par deux longues mèches châtain. Les deux mains posées sur le livre que je venais de prendre, j'avais l'air de quémander une lecture, d'un œil de spectateur. Oliver Twist l'orphelin, Oliver Twist entre les mains d'une fille qui haïssait sa famille. « Freud serait parmi nous, il sauterait sur l'occasion. »
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| Sujet: Re: Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé Mar 21 Déc - 18:45 | |
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Il était là, hésitant à lever les yeux du parquet. Je l'aimais bien ce camé, avec ses yeux bleus électrique et sa bouche de canard. Un vilain petit canard, comme moi. Il finit par détacher son regard du sol et c'est avec un demi-sourire qu'il répondit :
« - Non, elle est charmante.
Ma mère était la plus charmante de toutes les femmes du quartier, peut-être même de tout bristol. Toujours à se rendre utile à ses voisins, excellent cuisinière, fée du logis à la main verte, œuvrant pour des associations caritatives, qui pourraient bien croire que quelqu'un pourrait la détester ? Qui pourrait gober que sa propre fille ne souhaitait que sa mort, ainsi que celle de ex-mari ?
Noé était maintenant devant le rayon français, les caressant avec une délicatesse de passionné. Il était très étonnant, aux antipodes de ce que l'on pourrait s'imaginer à son sujet. Il était tout à la fois mais insaisissable en même temps. Je l'aurais imaginé aimer la littérature de l'est, un tantinet communiste, mais les belles lettres, le pays des droits de l'Homme semblait être son ... dada ? Je l'observais de mes grands yeux, il semblait sûr de lui, un artisan dans son atelier, maitre de son œuvre, mais quelle œuvre pouvait-il concevoir du peu de temps qui lui restait à vivre ? J'avais envie de l'aider, pas à arrêter la dope, personne ne le pouvait, il était trop atteint pour ça et cela n'était pas mon devoir. Non, je voulais juste l'aider à ... aller mieux ? A écrire un autre texte pour les autres ménagères ? Son nom me disait vaguement quelque chose lorsqu'il me l'avait révélé et puis j'avais retrouvé deux jours après ce journal où figurait sa nouvelle. Ma mère en était fan, persuadé que c'était l'œuvre d'un professeur de lettres d'une université quelconque. Qu'aurait-elle pensé si je lui avais dit la vérité ? Que l'auteur était en fait un drogué squelettique, au teint blafard et aux yeux cernés, cernés et pourtant si vif. Des radars, des sondes.
Assis en tailleur près de ma chaise il ressemblait à ces jeunes enfants avides d'histoires.
- Freud serait parmi nous, il sauterait sur l'occasion.
Je mis quelques minutes avant de comprendre le sujet de cette remarque. Un sourire illumina mon visage, surement la faute à Oliver.
- Freud m'aurait adoré, il m'aurait surement trouvé un trouble sexuel. Ses amis m'ont dit que j'étais hystérique, que cela venait surement d'un mauvais sein ou une connerie de ce genre. Mais ils se trompent ... j'ai commencé à sombrer lorsque j'avais 10 - 11 ans. Mes trois stades étaient depuis longtemps dépassés.
Plongeant mon regard dans le ciel, je m'oubliais. Je n'avais jamais parlé de ça. Je ne voulais pas emmerder Cassius avec cette façade de ma descente aux Enfers. Mes cries lui suffisaient.
- Je suis devenue folle comme ils aiment me traiter parce que j'ai cessé d'être une enfant, j'ai cessé de rêver. Maintenant je suis réduite à être une adulte, mes rêves ont été remplacés par des envies parce que je ne suis plus capable d'imaginer quoique ce soit ... T'arrive-t-il encore de rêver ?
J'avais posé à mes pieds Oliver Twist, posant mes bras sur les accoudoirs, j'observais Noé, essayant de capturer chaque partie de son visage, de son corps, de son être.
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Invité
| Sujet: Re: Change les clés de ton coeur et de l'appartement || Theresa&Noé Mer 22 Déc - 0:42 | |
| Pour moi, la mère de Theresa était charmante. Même si elle n'était pas rentrée dans une grande conversation, que je l'avais un peu effrayé en la prenant pour sa fille alors que la ressemblance n'était pas flagrante, elle m'avait au moins dit bonjour et m'avait ouvert la porte. C'est bête à dire mais rien que pour ça, je la trouvais charmante. On peut pas dire que j'avais été élevé chez une sainte. Aigrie et frigide avant l'âge, elle n'en avait juste rien à faire de son fils unique. Unique et voulu en plus ! Quoi que parfois, je me demande si mon père biologique lui avait pas mis un couteau sous la gorge pour lui faire écarter les jambes. Instincts animales précaires visant à la reproduction ? Je sais pas. Sûrement. Le fait est qu'elle m'avait eu, avait commencé à faire son job de génitrice pendant quelques mois et avait finalement engagé une nourrice pour le faire à sa place. Pas fée du logis non plus, les plats qu'on mangeaient étaient tous préalablement achetés chez le traiteur ou arrivaient en boîtes surgelées dans le micro onde. Cuisine rapide sur une table à deux, en face à face figé et sans paroles. Il y avait rien eu de normal dans son éducation, rien de sa part en tout cas. Elle avait tout relégué aux autres, leur avait relégué sa fonction maternelle. Et encore, quand on se recroisait, dans les couloirs de son hôpital, du pavillon dont elle avait été promue chef, c'était pour jeter un coup d'oeil, signer un papier de dépôt, comme quoi elle avait vu mon cas, et elle le reléguait aux infirmière. Au suivant. Qu'est ce que je lui avais fait ? Je n'en savais trop rien. Qu'est ce qu'on lui avait fait peut être ? Rien non plus. Frigides aux sentiments, robot et amas de connaissances.
Connaissance. Le seul mot qui était sortit de sa bouche durant ces dix huit longues années passées sous le même toit. Connaissances littéraires, connaissances mathématiques, connaissances en politique, psychologie, sciences naturelles, musique … tout était passé. Petit, je m'étais persuadé que derrière ce mot, ce cachait quelques bribes de ce que l'on appelait amour maternel. What happen ? Et je m'étais cultivé, seul, sous mes couettes. A la lumière d'une lampe torche habilement posées sur mon épaule, mes yeux parcourant des pages et des pages de manuels jusqu'à l'usure. La bipolarité, la maladie des génies créatifs. C'était peut être à cette défaillance mentale que je devais toutes ces connaissances ? Peut être grâce à elle que j'avais écris ces pages dans un journal banal de Bristol. Les gens avaient dû penser que c'était ma mère qui l'avait écrit … N.S.BOMER. Signé en fin de page. Sans plus d'indices. « - Freud m'aurait adoré, il m'aurait surement trouvé un trouble sexuel. Ses amis m'ont dit que j'étais hystérique, que cela venait surement d'un mauvais sein ou une connerie de ce genre. Mais ils se trompent ... j'ai commencé à sombrer lorsque j'avais 10 - 11 ans. Mes trois stades étaient depuis longtemps dépassés. » Déformation quasi professionnelle ? Ma mère était psychiatre. Acte manqué que d'avoir fait le lien ? Peut être que, sans même le savoir, Theresa était passée entre les mains de ma génitrice. Peut être qu'elle avait inspecté son cerveau une heure ou deux par semaine, pour en tirer des conclusions futiles, totalement idiotes dans mon sens. « Je suis devenue folle comme ils aiment me traiter parce que j'ai cessé d'être une enfant, j'ai cessé de rêver. Maintenant je suis réduite à être une adulte, mes rêves ont été remplacés par des envies parce que je ne suis plus capable d'imaginer quoique ce soit ... » Je baisse de nouveau les yeux, évitant le regard pâle de la jeune fille. J'avais envie de m'excuser pour ce qu'il lui avait dit. J'avais envie de lui dire que non, elle ne pouvait pas être folle. Que leurs critères pré établis, leur liste de pathologies dans une case, avec les critères dans l'autre, c'était des belles conneries. Mais je reste muet, incapable de trouver les mots justes dans le brouillon de pensées qui occupent mon cerveau. « T'arrive-t-il encore de rêver ? » Sa question me glace. Oui je rêve. Tout le temps. « Je ne fais que ça. » Je relève le visage vers elle, mes lèvres se décomposant en sourire doux et rassurant. « Il n'y a pas une seule seconde sans que le vrai se mêle au faux. Une vraie tempête de chimères. » A croire que Tess et moi sommes aux antipodes. J'ai de la peine pour elle, comme elle a de la peine pour moi. « Être adulte ne veut pas forcément dire perdre espoir. Vivre enfermé Tess... »
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