« Tu me lis une histoire? » « J'ai pas envie. » « T'es méchant. » « Ouais. C'est comme ça, t'as qu'à dormir. » « .. J'arrive pas. Tant pis, je vais me raconter une histoire tout seul mais t'es obligé d'écouter. » Long soupir qui s'étire. « ... C'est bien parce que c'est toi. »

Il était une fois dans une petite ville d'Angleterre, deux frères aux cœurs aussi légers que l'air. Quand le plus grand prenait la main du plus petit, ce dernier souriait et riait, parce que cette main le réchauffait. Elle réchauffait son âme comme un soleil incandescent qu'il lui aurait offert, le décrochant du ciel pour lui offrir, à lui, son petit frère. Il n'était pas beaucoup plus vieux, non, c'est juste que l'autre était un peu moins majestueux. Le plus grand lui sourit aussi et lui ébouriffa tendrement les cheveux, l'entrainant vers de plus beaux cieux. Ils grimpèrent tout deux les marches éreintés d'un vieil immeuble fatigué, leurs doigts liés par une promesse au goût de secret. Ils n'y avait qu'eux ici, personne ne venait jamais visiter ces ruines, vestige d'un passé oublié. Ils finirent par arriver au sommet et allèrent s'assoir sur un toit qui n'était plus hanté que par le fantôme d'un vieux chat. Ils s'assirent et levèrent les yeux vers l'horizon dont la couleur rappelait celle d'un vieux lion. C'est alors que le soleil apparut, doucement, silencieusement, trainant sa robe moirée dans le ciel embrasé. Le plus petit se serra contre son frère qui l'entoura de ses grands bras, lui offrant un refuge loin du monde d'en-bas. C'est à cet instant que le plus petit sut que son cœur déchiré lui appartiendrait à jamais.

« Alors, ça t'as plu? » Long silence qui s'étire. « Tu dors..? » Long silence sans un soupir. « … Bonne nuit alors. »

Et puis les enfants ont grandi, revêtant des masques de dandys. Leur candeur s'en est allée, plus fugace qu'une pluie d'été. Mes doigts cacheront mes yeux apeurés car il m'a dit de les fermer. Il ne faut pas que je pense, il faut que je me laisse entraîner par la danse. C'est facile, il suffit juste de ne pas être trop difficile...

Il me regarde et éclate de rire, j'comprend pas trop pourquoi mais c'est pas grave, j'ris aussi. La musique résonne trop fort, la bière sent le fluor et j'crois bien que je vais finir par gerber dans le décor. Les gens s'agitent dans un brouillard confus de corps en sueur et de fumeurs. J'sais plus trop où j'en suis, j'ai perdu mon guide dans la foule bigarrée au parfum d'Enfer au rabais. Y'a des trucs bizarres qui se déhanchent sur la piste, j'vois pas très bien mais j'crois bien … merde, ouais, c'en est un! Je cherche Basile, hurlant en m'arrachant les poumons. J'le trouve pas, je panique, si j'suis tout seul, j'vais pas y arriver... Alors je continue de gueuler. Une main m'attrape soudain, m'entrainant dans l'ombre. « T'es malade ou quoi? » « Mais non, putain.. Tu l'as pas vu? » « Bien sur que si! C'est même pour ça que je suis venu te chercher. Il arrête pas de te regarder, l'enfoiré. » « Alors c'est l'heure de la mise à mort? » « Un peu ouais.. J'prend le flanc gauche, tu prends le droit.. Let's hunt, brother. » Et nous voilà partis à la chasse d'une improbable rêverie...

Je me réveille en sueur, haletant, tentant de calmer les battements de mon cœur. Jetant un regard inquiet dans le dortoir ensommeillé, je m'assure que personne n'est éveillé. Demain le cauchemar sera finit, demain tout ira bien. C'est ce qu'il faut se dire pour tenir... Dans peu de temps, je serais dehors, à respirer un air qui n’exhale plus la mort. Cette année m'a parue si longue. Un an. Un an sans toi.. Je serre les dents, refoulant mes souvenirs brûlants. Pas maintenant. Mon cœur, mon corps pourront éclater quand je sortirais, mais pour l'instant je dois rester entier. Garder le peu de dignité que j'ai, le peu qui n'ai pas reçut de crachats. Dans une poignée d'heures, je pourrais oublier tout ça. Laisser derrière moi tout ce dont je ne veut pas. Cette couverture qui gratte, les blattes, ces vomis haineux qui souillent ma fierté, les dérouillées, tout ce qui fait de mon âme une écorchée. J'espère que tu m'a attendu, j'espère que tu m'a entendu. Toutes ces nuits j'ai murmuré ton nom de ma voix éraflée pour ne pas t'oublier. Je sais pas trop ce qui va se passer, j'ai même peur je dirais.. Mais je ne te l'avouerais jamais. Quand on se reverra je sourirais rien que pour toi et tu ne verras plus que ma joie. Oui, je serais fort, pour toi. Et on pourra chasser le Dragon, rien que tout les deux, on fera naître l'horizon, avec nos rires heureux.