« La liberté, c'est la faculté de choisir ses contraintes. » La jeune femme gloussa et Graham rejeta la tête vers l'arrière en soupirant. Elles étaient toutes tellement prévisibles. N'était-ce pas d'un ennui navrant ? Sa prétendante passa un bras autour des épaules du jeune homme et décida de se rapprocher de lui, avant qu'il ne fasse un geste qui l'arrête tout court. Il mit un doigt sur ses lèvres en signe de silence, et repoussa ses avances calmement avant de se lever, dos à elle. « La vérité se meurt dans les limites, le champ de l'erreur est immense. » Il se retourna pour lui accorder un regard, et la vit toujours avec un sourire bête sur son visage. Ce n'est pas une personne comme ça qui pourrait approcher plus que ça le cher Graham, qui n'avait que faire d'une donzelle sans cervelle qui se faisait bercer par des citations littéraires toutes faites que le jeune homme apprenait par centaines. Il tapa du bout de sa chaussure un caillou et commença à s'éloigner dans le parc où il s'était rendu avec Lea, l'idiote en question. Il l'entendit faire quelques pas derrière lui et s'arrêter alors, elle devait venir de comprendre qu'elle n'était pas souhaitée à ses côtés. Graham avait cette faculté de faire comprendre aux autres tellement facilement ce qu'il pensait, par des gestes pensés et des paroles brèves, et ce n'était fait que pour lui faciliter la tâche. Combien d'autres mouches comme elles se collaient contre la vitre pour l'admirer, il ne les comptait plus. Etait-ce son physique avantageux, ses paroles rêveuses ou son air sur de lui qui attirait les autres ? Il ne le savait guère. Ce qu'il savait, en revanche, c'était qu'il avait le contrôle sur elles, comme il l'avait sur la personne qui était la plus importante au monde pour lui. Lentement, il traversait les sentiers dessinés et adressais un regard aux jeunes couples batifolant près du lac, en proie à des sentiments qui s'effaceront au fil du temps et finiront par tomber aux oubliettes, un regard aux enfants qui bientôt perdraient leur innocence et erreraient sur les sentiers du désespoir, et enfin ces quelques adolescents qui regardaient le ciel d'un air désabusé, leurs rêves déjà effacés comme une larme au coin de l'œil.

Puis, la rue. La jungle en quelque sorte. Ces animaux qui avancent, régis par ce que leur indique l'objet autour de la poignée. Des coups, d'épaule, de pied, des croche patte, des mots d'excuse, des jurons. Graham, un sourire en demi lune sur le visage, observait ces animaux sauvages se manger petit à petit, jusqu'à ce qu'une bagarre commence véritablement sur l'autre trottoir. Primitifs. Les humains se sentaient les supérieurs hiérarchiques de toutes les autres espèces au monde, et pourtant, ils ne se rendaient pas compte qu'ils devaient être les moins fiers. Seuls quelques illuminés pouvaient avoir le droit de se proclamer utile à l'évolution à proprement parler, et ceux-ci n'étaient pas les procréateurs en chaine, au contraire. A-t-on vraiment besoin de milliers d'idiots pour mieux vivre ? Non. Ce sont eux qui prennent le pouvoir, ce sont eux que l'on suit, ce sont eux qui nous mènent à notre perte. Malheureusement, Graham à lui tout seul ne pouvait arrêter le mécanisme de la planète Terre et devait laisser les choses se faire. Attendre. Attendre la fin, patiemment, ou avec ardeur. Il essayait de profiter un minimum de ce qu'on lui donnait mais ne voyait pas d'intérêt dans autre chose que les livres, qui transmettaient les savoirs des anciens et disparus, qui faisaient entrer dans un autre monde qui était moins fou que le vrai pendant quelques heures, et qui divertissait, ma fois, assez bien. L'autre intérêt de sa vie était Alice. Oh, Alice. Il la retrouvait, justement, en marchant dans les rues, car il se dirigeait vers la maison familiale pour lui parler .. ou autre chose. Certains seraient scandalisés de voir l'attitude de Graham par rapport à sa jumelle mais c'était tout à fait normal entre eux, ce qui ne le dérangeait donc pas du tout. Remontant les rues, abimant ses chaussures, en résistant à l'appel de la cigarette. Arrêter, elle lui disait d'arrêter, mais f*ck, qu'est-ce que c'était dur. Du suicide ? Surement. Mais tout le monde court à la mort, à perdre haleine, et seulement un petit, tellement petit pourcentage de la population totale FAIT quelque chose. Si Graham n'en faisait pas partie, surement qu'il se tirerait une balle dans la tête, pour rendre service aux autres. Mais ça, il ne le partageait pas.

Les rues devenaient plus propres, comme si une mariée avant ramassé, grâce à son voile, tout ce qui s'amassait sur les voies piétonnes. Bientôt, le jeune Graham arrivait à son domicile, le domicile familial, et poussais la porte d'entrée. A 16 ans, il n'y avait pas de raison pour qu'il ne vive avec ses parents et ses frères/sœurs. Bien heureusement, il ne faisait pas partie d'une famille nombreuse et n'avait qu'une personne sur laquelle compter : sa sœur jumelle. Il l'aimait comme jamais personne n'avait aimé, et il la contrôlait et la dressait mieux que le meilleur maitre chien. C'était ignoble, abject de s'insérer dans la mentalité de ce gamin qui se prenait pour Dieu, avec ses fils de marionnettiste raté qui ne faisait que manipuler une pauvre jeune femme en manque d'amour, mais il se sentait tellement fier d'être l'auteur de tant de gestes affectifs. Arrivé dans la chambre de sa sœur, il poussa un soupir et s'assit sur le lit, où elle avait déjà pris place un livre à la main. « Je suis rentré. Je vois que tu as suivi mon conseil, ce livre est magnifique. » De toute façon, si elle n'avait pas fait ce qu'il avait dit, il l'aurait surement réprimandé et elle l'aurait fait de toute façon. C'était comme ça que ça marchait entre eux. Lentement, il se glissa à ses côtés et entoura sa taille en la caressant d'abord de la main, et embrassa son cou comme il aurait fait avec sa compagne. « Je peux te récompenser pour cette bonne action » Et de ses doigts fins, il mettait les cheveux d'Alice derrière son oreille pour laisser la place à un autre baiser, sur sa tempe.