♦ Jardin public
♦ Merle J. Nielsen & Paris E. Wilshire
♦ Paris assis dans au jardin public, vient de passer un coup de fil à Merle pour lui dire de venir.

Une chose est sûre : aujourd'hui ne rentrera pas dans ma liste des meilleures journées de ma vie. Non, loin de là. Tout début d'après midi et j'ai déjà envie de remonter le temps, ou d'aller chercher la merde au petit groupe près des balançoires pour calmer mes nerfs. Il me faudrait un verre, ou limite un fix pour me détendre là. J'crois que cette fois, ma connerie à battue des records.
Je plonge ma main dans ma poche pour en sortir mon paquet de marlboro, en allumant une pour patienter. Et Merle qui met du temps à venir. Ouais, elle pouvait pas apparaître en face de moi juste au moment où j'avais raccroché, mais j'sais pas, j'avais envie de lui parler. Et la brunette, c'était sûrement la seule personne qui pourrait un minimum comprendre. Elle se foutrait sûrement de ma gueule mais pas une éternité non plus. C'pas comme si j'allais raconter ce genre de problème à Cliff, ou à n'importe quel type dans la rue.

Midi, et j’suis encore dans mon pieu. Pas un bruit dans la maison, j’suis tranquille. Jusqu’à c’que mon téléphone se mette à me hurler de la soupe dans les oreilles. J’songe à changer de modèle, celui là est plus vieux que mon game boy color. Ça, ça veut dire pas d’afficheur, et des textos qui coûtent les yeux de la tête. J’réponds, pour faire cesser le vacarme que produit la chanson de MSTRKRFT. C’était pt’être pas nécessaire de payer 5 balles pour une sonnerie qu’j’entends à demi. Enfin on s’en fout. « Allô ? » Paris. J’dois m’lever pour aller le voir, il peut pas s’bouger le fion alors que c’est lui qui veut m’parler. Il a d’la chance que j’accepte de me bouger juste pour ses beaux yeux, quoi. J’raccroche après avoir confirmé le lieu de rendez-vous, puis j’me passe un coup de peigne, j’enfile un collant de laine, une jupe, un t-shirt et un manteau. J’ai mes gants de coton dans les poches, un paquet de clopes et mes clés : ça me suffit. J’sors et me dirige vers l’endroit convenu. Il fait pas trop mauvais aujourd’hui. Gris, frais. Ça va. J’m’allume une clope en marchant. Heureusement qu’c’est pas trop loin. Enfin, j’le vois.
« Hey. » Mouvement sec de la cigarette pour en faire tomber la cendre sur le sol. Dernière bouffée et elle rejoint le sol, avant d’être écrasée sous mon pied. J’le contourne, et m’pose sur une balançoire. Allez Paris. Raconte-moi tout.

Je tire une longue latte sur ma clope, comme si une dose un peu plus forte de nicotine allait réussir à me calmer les nerfs. Je passe une mains dans mes cheveux, les ébouriffe un peu plus tandis que mes yeux font l'aller retour d'une entrée à l'autre du parc. Merle finit par apparaître, et apparemment pas au pas de course. Je l'avais déjà vu dans des états lamentable, elle était pas obligée de se donner un coup de lisseur pour sortir quinze minutes me voir. Enfin l'essentiel, c'est qu'elle soit là, et qu'elle se soit pas recouchée après mon coup de fil.
Simple salutation et elle s'assied, prête à entendre pourquoi je l'avais fait déplacer.

« J'ai quitté Winni, c'matin. Et j'comprends absolument pas ce qui m'est passé par la tête en me casant avec un mec. »

La fin de ma phrase, j'évitais de la hurler, limite un murmure pour être certain que les gosses qui jouaient dans le bac à sable n'entendent pas ce truc honteux que je venais de sortir.

Les pieds sur le sable rude, je pousse vers l’arrière, puis laisse le mouvement de balancier me ramener vers l’avant. Avant, arrière. Je profite du vent frais pour achever de me réveiller. J'étais pas exactement endormie, avant son appel, mais disons que j'aurais pas pu faire un rubik cube sur le moment. Et, comme d'habitude, j'observe Paris. C'est fou comme il est à fleur de peau, ce mec. Tout se devine: son humeur, ses pensées. Et c'est presque inutile, tellement ça change vite. Une seconde triste, l'autre fâchée, et l'autre d'après hilare. Il est en difficile à suivre, parfois. Une vraie girouette. Et son trip de confirmer tous les on-dit à son sujet n'aident vraiment pas à le rendre plus stable.

« J'ai quitté Winni, c'matin. Et j'comprends absolument pas ce qui m'est passé par la tête en me casant avec un mec. »

Je hoche la tête. Il était temps, quand même... Je sais pas si j'ai aidé à accélérer la chose. C'est toujours embêtant avec lui, parce qu'il est tellement borné qu'il aurait pu continuer à fréquenter Winni pendant des lustres juste pour contredire tout le monde. Je me lève, pose un pied sur la balançoire et me hisse dessus, debout, en fixant un point au-dessus de sa tête. « Je sais pas. T'avais peut-être besoin de... voir par toi-même. » Mon regard se pose sur lui. Et s'il comprend pas que j'me fous de sa gueule, au sourire que j'affiche, il est vraiment aveugle.

Je sais plus qui avait commencé à dire partout que j'étais gay. Quoi que, il avait suffit d'une personne, qui le dit à une autre et ainsi de suite. Pas la peine de faire dans le communiqué de presse pour faire courir le bruit dans les couloirs de notre lycée. A croire que les gens ne pouvaient pas s'empêcher de parler, surtout quand l'objet de la discussion était tout nouveau, sans des masses et des masses d'amis. C'était toujours la même histoire, et petite rumeur, qui venait s'ajouter à une autre et ainsi de suite, je commençais à étouffer, à ne même plus distinguer ce que je faisais par fierté, ou par pure connerie, goût de la provoc, & co.

Merle, toujours sur sa balançoire, m'envoie une phrase que j'écoute à moitié avant de me sortir un grand sourire moqueur. Ouais, qu'est ce qu'on se marre. Je tire une nouvelle latte, baisse les yeux sur le sol avant de donner un coup de pied dans une cannette vide. « Paye ton expérience. J'vais vraiment passer pour la tantouze notoire maintenant... Non mais tu sais pas combien de fois j'ai failli me faire casser la gueule à cause des conneries de Winni. » Et encore une fois, bref changement d'humeur, je relève les yeux, avec un sourire amusé. « Y voulait me faire porter un tee shirt rose, ultra moulant un jour. Avec marqué "I love moustache" dessus. Genre village People. J'aurais dû me douter d'un truc là.»

J’me balance, d’avant en arrière, debout sur la planche qui devrait normalement soutenir mes fesses. Les gamins crient, se pourchassent un peu partout et nous regardent du coin de l’œil, nous surveillent. Comme si on allait, d’un moment à l’autre, décider d’aller les faire chier, juste pour prouver notre supériorité. On a toujours une sorte de crainte envers les plus grands que soi. Ça prouve la beauté de ce monde. Les plus forts sont prédestinés à bouffer les plus faibles. « Les conneries de Winni sont tes conneries. » Je souris. L'image de Paris en rose fluo avec un t-shirt moustache me donne envie de rire. J'l'imagine bien avec ça. Enfin j'imagine surtout sa tête. Quoique de le voir dans un haut ajusté c'est pas la pire des images...

« C'qu'il te faut, c'est une rumeur qui dit que t'es hétéro, que t'as une copine et que tu la satisfais pleinement. » J'm'agenouille sur la balançoire, et je le regarde d'un air appréciateur. Parce que bon, j'ai vu de quoi il a l'air sans fringues, je l'ai testé, et j'crois pas que la rumeur serait difficile à répandre... ni à vérifier. « C'est pas les candidates qui vont manquer, pour ça. » J'penche la tête sur le côté, et j'lui offre un clin d'oeil.

Ce tee shirt, une histoire parmi les autres. Enfin, heureusement que ça ne c'était pas éternisé, que j'avais réagi avant que d'autres mois ne passent. La raison ? Peut être mon aventure avec Merle l'autre jour, dans la ruelle. Ça ou autre chose, je savais pas vraiment et c'était pas mon but principale de trouver le pourquoi du comment. Pas pour l'instant en tout cas, fallait d'abord que je me remette de mes émotions. Merle, c'était pas franchement le genre d'amie à pleurer sur le sort de son pote, ou essayer de le consoler avec les phrases bateau certes, mais toujours rassurantes. Limite, elle se foutrait de ma gueule ostensiblement si elle avait un peu moins de tact.

Je passe sur sa première remarque, me concentrant sur ce qu'elle disait ensuite. Une nouvelle rumeur ? J'avais toujours été victime des rumeurs, jamais celui qui les lançais. Mais c'est vrai, que les secrets de polichinelles, c'était les seuls valables au lycée.

« J'sais pas. Apparemment les gays ça excite certaines nanas. » Petit sourire en coin. « T'fais partit de cette liste de candidate toi ? »

Ouais, là faut dire qu'il marque un point. Elles veulent toutes être celle qui lui fera changer d'avis, l'exception qui confirme la règle. La fille qui l'a fait changer de bord une fois, la seule et unique. D'après moi, c'est d'la foutaise. J'veux dire, oui, j'ai eu un truc avec Paris. Tout ce que ça prouve, c'est pas que je suis exceptionnelle. Ça prouve juste qu'il est hétéro. Ou bisexuel à la limite, pas de quoi en faire tout un fromage. « Encore faudrait-il que je sois pleinement satisfaite... » Je lui souris d'un air angélique. À tout coup il va être vexé, ou il va le prendre comme une provocation. Ce qui n'est pas exactement faux. J'descends de la balançoire et vais le rejoindre, pour lui piquer sa clope. Se faisant, j'glisse une main dans la poche arrière de son jean, et j'me colle à lui.

« Supposons que j'considère sérieusement de jouer la copine. J'serais atroce, tu le sais. J'me fous ouvertement de ta gueule, j'te parle mal, j'suis pas affectueuse... » Et aussi fort que j'peux l'aimer, j'me vois pas trop jouer la gourdasse amourachée, même pour ses beaux yeux. Et puis j'peux pas toujours lui sauver la mise, quoi. Si j'ai le malheur de l'aider trop souvent, à chacune de ses bourdes il va v'nir se réfugier sous mes jupes. (Quoique de l'avoir sous ma jupe une fois de temps à autres ça me dérange plus ou moins.)

Je hausse un sourcils à sa remarque, un sourire en coin sur les lèvres. Pleinement satisfaite ? J'crois qu'il y avait un point qu'on avait exploré tous les deux, il y a peut, et qu'elle comme moi, on avait pris notre pied. Et pour ce qui était de l'entente, on était amis depuis assez longtemps pour être sûr de se supporter. Ce qui tenait parfois de l'exploit pour certains nouveaux couples. Pas que je veuille me mettre en couple avec Merle, juste faire changer la donne sur mon image au lycée. Et comme c'est elle qui avait lancé l'idée … Je ne lui réponds rien, l'appuyant juste du regard pour traduire le fond de ma pensée.

Elle se lève, attrape la clope coincée entre mes lèvres, et vient se coller à moi. « Tu lances les idées mais tu prends pas ton rôle à cœur ? Ingrate. » Je laisse échapper un petit rire, lui reprenant la clope qu'elle venait de me voler, tirant une latte dessus et tournant un peu le visage pour ne pas lui envoyer la fumée dessus. « Tu veux me faire passer de pédé à gros soumis ? »