J’éteins la lumière. Fais apparaître les étoiles. Le toit éventré de notre appart' déglingué m'sourit, et moi, j'lui souris aussi. Ma main gauche s'aventure sur le crâne blond de ma sœur, le caressant doucement. J'sens qu'elle veut parler mais seul un râle inarticulée, un borborygme haché, un putain de crachat infect me parvient. Petite salope. À trop parler, on finit avec les lèvres cousues. Y' a ses orbites bleus de Vierge immaculé qui n'attendent que de crever. Y'a sa blondeur dégueulasse qui m'salit les mains. Y'a sa candeur immonde qui me crache à la gueule. Y'a tout ça qui m'fait dire qu'elle va passer un mauvais quart d'heure. Elle le sait et sait que j'sais qu'elle sait. On sait tous. Et ils se taisent tous. Little Odessa est un quartier nauséeux, qui charrie toute la merde qui s'est échappée du ventre de la Putain Rouge. On baragouine tous un anglais ignoble qui nous arrache les lèvres, on est même pas foutu de s'intégrer à l'American Way. On préfère jouir en russe, vous cracher à la gueule en polonais, parce que bordel, ces langues sont tellement plus belles.

Et moi, moi au milieu d'tout ça, j'souris de nouveau aux catins pendues dans l'ciel, à ces élégantes aux airs désespérément mièvres. Bordel, qu'est-ce qu'on se fait chier. Le mur pourrit sous mon échine, tout comme ma vie et ça m'donne la gerbe. J'sens son humidité malsaine qui rampe sur ma nuque, qui me bouffe, lentement. Notre nid de baise, de fiel et d'aigreur s’effrite entre mes doigts tremblant. Regarde, petite salope, regarde la Mort qui va bientôt te baiser, qui va becqueter ta chatte de pucelle, ton cul de catin et tout l'reste. Ouais, elle va bien grailler, la bâtarde. « Harlem, Ljubja, За столом! » Quand on parle de bouffe.

J'relève la poupée blonde, la traine jusqu'à la table et l'installe sur une chaise, tant mal que bien. Elle ne mangera pas ce soir, pas avec la bouche qu'elle a. On grattera un peu ses croutes, ce s'rait dommage qu'ça s'infecte. Coinçant une clope entre mes lèvres, j'regarde ma mère me servir. Elle est belle, ma mère. Elle m'a fait don d'ses d'yeux et d'ses cheveux, ses putains de cheveux noirs qui inondent son échine incandescente. J'la baise ma mère, et elle aime ça. J'dirais pas que c'est une salope, j'ai trop de respect pour son cul divin. J'fourre ces mêmes cuisses qui m'ont donné la vie, putain d'ironie. On choisit pas, c'est comme ça. « Qu'est-ce que tu lui as fait encore? » J'recrache mon amère fumée vers la petite salope, étudiant sa face ravalée. « Rien de bien méchant. » Elle l'a mérité c'te conne. M'a énervé avec ses pépiements incessants. Une petite colombe à défigurer, voilà ce qu'elle était.

Ma génitrice s'installe en face de moi et y'a ses yeux, ses yeux défoncés, ses pupilles incendiées qui me fixent. Bordel. J'dis rien. J'me tais parce qu'au fond, j'aime la voir ramper. Ramper pour quémander sa viande, celle qui calcine ses lèvres et ses reins, celle qui la fait hurler, celle qui la fait se déchirer. Elle m'fait bander, la bâtarde. On sait tous les deux comme ça va s'terminer; les fringues arrachés, la baise sur le plancher, la petite salope qui nous fixe avec ses yeux d'poisson mort. J'tire une dernière fois sur ma clope et l'écrase sur la table, me levant. Faisons ça rapidement, papa n'va pas tarder à rentrer. Ce s'rait dommage que j'puisse pas botter son cul d'connard parce que j'suis en train de fourrer sa femme. On va bien s'amuser ce soir, va.

Les sirènes qui hurlent, la nuit sale, la petite salope étendue sur le trottoir, ses tripes qui salissent le caniveau et les infirmiers qui l'entourent, qui s'affairent comme une nuée de mouches sur un tas de merde fraichement déposé sur la chaussée, se nourrissant de cette vie répandue sur le macadam. Défenestrée la petite salope, tout comme mon géniteur, un plan parfait, les éliminer, foutre le feu et se casser... Mais c'était sans compter ces chiens qui nous ont dénoncé, une meute affamée qui n'attendait que ça, le faux pas pour nous bouffer. Putain de faux pas en vérité, les flics et leur clique qui nous guettaient au coin de l'impasse, qui nous ont choppé, ramené, trainé de force, jouissant sur ce coup inespéré, sur cette baise tardive et pourtant si implosive. Pas de Salut, de Rédemption ou d'Absolution possible, on est foutu, ouverts à sec sans vaseline; Ma génitrice chiale et moi, moi j'les regarde l'emmener avec un cri muet qui m'arrache les lèvres. On me ceinture, m'empêche d'aller la retrouver une dernière fois. Supplier? Implorer? Plutôt crever. Ils n'attendent que ça, que j'demande c'qui va m'arriver, que j'm'excuse, que j'dise que j'l'ai pas fait exprés, que c'est sa faute à elle, que j'raconte la merde habituelle, que j'les balade pour qu'ils m'explosent finalement à la gueule avec leurs rires, s'marrant comme les crevards qu'ils sont. T'as vu ça Malloy, ce gosse taré? Il essaye vraiment de nous faire avaler des couleuvres plus grosses que les valseuses du Pape? Ça m'dégoute vraiment, toute c'te violence, 'garde-moi ça, la gamine doit avoir quatorze ans à peine, 'garde comme elle est salement amochée, m'dégoute tout ça.. Dans quelle époque on vit pour voir des trucs comme ça, putain de psychopathe ouais, j'te l'dis mon gars, tu vas souffrir en tôle... etc, etc... Toute cette lie dégueulasse qu'ils servent à chaque mec qu'ils coffrent, se masturbant sur sa putain de peur, celle qui lui bouffe les entrailles, qui l'ronge jusqu'à l'os pour recracher une merde sans nom. Ouais. Alors je ferme ma gueule, la perpétuité va me baiser. Amen.

Un trait incandescent qui luit dans la nuit. Y'a moi, moi et ma clope qui crève l'obscurité, qui l'ouvre, sur un obscène point rougeoyant. Le club est désert, mon vieux-tourne disque crache sa lie dans le silence opaque. Les chiens ont détallés, se sont échappés de leur prison aux murs écorchés. Ouais. On s'sent poètes quand on pense à cette putain qu'est la Liberté. Elle est dure à baiser mais bordel, quelle jouissance. Invidia est mon nouveau terrain de jeu. Ici, pas de règles, seulement l'orgasme de chaque instant. Ce s'rait décidément parfait sans le petit con. Le petit con. Faut qu'il me colle, c'est plus fort que lui. Il m'file des envies de meurtres. Il va finir par crever. Souriant, j'jette un coup d’œil rapide à la pendule, 01H01. Bordel, il est temps d'y aller. J'fourre clopes et briquet dans mes poches trouées, attrape mes clés et me casse.

[…] Les nuages sales crachent leur crachin crade sur le macadam mutilé, encore un soir de pluie. Rues dégueulasses qui glissent sous mes pas, la musique éreintée me poursuit. Des putes attendent leurs clients, funestes corbeaux croassant qui guettent leurs proies. Toutes les mêmes, j'ai froid. Motivé par l'idée de rentrer, j'avance un peu plus rapidement, une nouvelle gitane coincée entre mes mâchoires serrées, les mains jointes pour tenter de les réchauffer. Putain d'hiver, c'est toujours la même merde... J'finis par distinguer les contours de mon immeuble sale, qui surgit au milieu d'une impasse, dépassant sur la chaussée comme une baleine mal encastrée dans un chalutier. J'grimpe quatre à quatre les marches défoncées, fouille un instant mes poches à la recherche des clés, ouvre. Et tombe sur le petit con. Le cul tranquillement installé sur mon pieu. J'serre les dents. Respire. Lentement. Bordel, qu'est-ce qu'il fout là encore? Qu'il aille se faire fourrer ailleurs, j'suis pas de ce bord là. « Dégage. » 'Peux pas faire plus clair, petit con. Barre-toi. J'désigne la porte, la sortie, l’échappatoire qui lui permettra de s'en tirer avec une gueule relativement respectable. Il se lève, me jette un regard amusé et se dirige vers ma sa libération sans mot dire. J'm'aplatis contre le mur pour le laisser s'casser mais voilà, il veut jouer, le petit con. Y'a sa putain de main qui m'effleure, y'a ses putains de lèvres qui viennent se coller contre les miennes, y'a tout ça et sa putain de folie qui crame l'obscurité autour de nous. J'suis paralysé l'espace d'un instant. On s'calme. C'est la clé, faire les choses calmement. Alors, calmement, j'reprend mes esprits, j'choppe sa tignasse, j'l'éloigne, lui envoie un coup dans les valseuses, le fait cracher un peu d'hémoglobine sur le parquet et coince finalement une clope entre mes lèvres, l'allume et recrache quelques volutes en refermant la porte. Calmement.

Inutile de déblatérer en menaces dégueulasses, lui et moi savons ce qui va se passer maintenant. On va avoir une petite discussion. Et on va bien s'amuser ce soir, va.