Des vieilles clopes, une paire d'écouteurs de rechange, une seringue usagée.
J'ai pas de sac.
Un X70B-Phantom prêt à décoller.

La fumée grisâtre s'écoule lentement de ses lèvres ; fontaine éphémère qui s’échappe dans l'atmosphère. Il crapote pour se donner un genre ce petit con. Et il s'en fout. Devant son écran blême, Siam s'en fout, Siam s'admire à la troisième personne. Dans son crâne, un autoportrait flatteur s'esquisse, rangées acidité et tristesse, place à la grâce. Il s'aime ainsi, poète déchu aux doigts glacés, moites de la sueur de ses virtuels combats victorieux. Mais Siam est un faux geek. Un infiltré qui s'est immiscé dans ce monde alors inconnu un an plus tôt. Pourquoi ? Pour tromper l'ennui qui grignote son être morcelé. Il est parti promener ses pattes sur Wow puis, lassé de cette communauté moribonde qui s'accroche à un univers en déclin, il s'en est allé. Swtor est devenu son nouveau terrain de jeu. Pour combien de temps ? Il l'ignore. La faute à son âme. Car son âme est vieille, vieille comme l'éternité. Alors elle s'ennuie. Elle était là au début des temps, il le sait, elle était déjà là, jeune et belle, pleine d'espoir au commencement. Elle vu les premiers êtres unicellulaires, les amphibiens qui ont commencé à grimper, à ramper sur la Terre, évoluant, les premiers Hommes et leurs descendants, traversant le Temps parmi les plus grands. Mais elle s'est décrépite. Elle a pourri. Son essence s'est ridée comme une vieille pomme et la voilà maintenant, errant dans une carcasse des temps modernes, perdue dans un monde inintéressant.

Il ferme les yeux. Il se remémore sa vie, tout ce que son âme lui a fait faire pour se distraire. Tous ces masques qu'il a porté pour elle, tous ces petits colifichets qu'elle s'est mise sur le visage pour retrouver sa jeunesse. Elle l'a fait aimer comme on aimait dans ces époques reculées, celles empreintes d'une ivresse maladive, d'une hâte vicieuse, d'une diligence empressée tant on sentait la Mort proche. Puis le goût fade de la lassitude est revenu sur ses lèvres. Elle avait déjà vécu ça, longtemps auparavant. Elle l'a fait voyager autour du monde, poète décharné traînant son corps nécrosé près du Triangle d'Or, peintre symboliste s'oubliant dans les fièvres du Brésil, grimpeur thaumaturgique escaladant la Cordillère des Andes pour contempler, en contre-bas, le lac Titicaca. Tout ça pour s'entendre dire que finalement, ça ne lui convenait pas. Alors ils se sont échoués tous deux à Derby, se glissant dans la peau d'un adolescent solitaire, poursuivant leur voyage dans les mondes imaginaires du virtuel.

Une paix tranquille a germé dans les Tréfonds. Un paix peut-être transitoire mais il s'en contente. Car il sait qu'en réalité, son âme n'est qu'une vieille prostituée, suçant les existences comme de fugaces clients, jouissant, empochant la monnaie et s'en allant. Une racoleuse antédiluvienne, usée jusqu'à la moelle qui se déguise pour s'illusionner encore et encore.

Rouvrant les yeux, il se tourne vers vous et vous fixe sans rien ajouter. Ses yeux délavés vous contemplent, ils vous attrapent, ils vous dévorent. Et au fond, avouez-le, vous êtes un peu comme tous les autres, vous êtes un peu comme lui. Fasciné par cette putain décadente.