Rien. Rien que les fils décousus des coutures de mon jean. Gill n'aime pas les bosses et formes que créaient les objets dans les poches des vêtements. Que ce soit jeans, pantalons, vestes, c'est proscris !
Gill a en permanence au fond de son sac du tabac, un canif, une bière, quelques vieilles photos, son porte-feuille, des clés égarés dont on ne sait pas ce qu'elles ouvrent...
Des vieux pinceaux, des tâches de peinture, de la poussières, des vieux vinyles, des préservatifs et tout un monde ignoré et oublié.

Errant, le visage vide, dépossédée, dans les rues de Londres, Gill semblait sans âme, tel un fantôme ayant déjà tout vu, se contentant de défiler. Une trainée de fumée la suivait lentement, remontant jusqu'à sa clope pincée lâchement entre ses doigts. La rue était sombre, étroite, les volets et fenêtres fermés, quelques petits grincements de portes et Gill était seul, grimpant une montée pavée de vieilles pierres. Ses talons claquées contre le sol, ses chevilles frôlées à chaque fois de se tordre, elles vacillaient puis retrouver l'équilibre avant de le reperdre. D'une démarche désinvolte, et d'un regard chahuteur, Gill tournait, retournait, à droite, puis à gauche, dans des rues plus laides les unes que les autres.
Soudainement, son visage sembla s’égayer, son regard fut envahi d'une légère lueur d'espoir, visible uniquement à la loupe, et les commissures de ses lèvres remontèrent légèrement. Mais toujours avec modestie, son visage en dévoilait le moins possible sur ses doutes, sentiments et pensées. Elle se rapprocha lentement, d'une démarche chaloupée, d'un homme, d'une cinquantaine d'année, placé dans un coin sombre, au bout d'une impasse, derrière un mur épais qui le cachait du reste de la rue. La planque idéal. Il avait la dégaine du poète maudit : cheveux grisonnants, chemise trop grande, légèrement sali, un jean usé et des yeux désillusionnés. Quand il vit Gill arrivait, il resta de marbre, la défiant de son regard provocateur. Celle-ci s'avança, toujours avec douceur, le bruit de ses talons contre le sol était de plus en plus espacés. Elle se plaça devant cet homme, à une bonne vingtaine de centimètre. Quand, prise d'une soudaine violence, elle remonta sa main vers le haut et commença le geste brusque d'une gifle ! Mais celle-ci fut rattrapée en un éclair par la main de cet homme, qui vint parer son attaque. " Tu me la feras pas à moi Gill ! ". L'homme garda serré entre ses doigts le fin poignée de Gill, serrant fort, l'obligeant à se plier en deux, comme pour se soumettre. Cette dernière se replia légèrement, continuant de lutter, ne montrant aucun signe de souffrance. Ses yeux se transformèrent en assassins, d'un noir intense, se plongeant dans le regard du vieil homme. " Pourquoi tu me fais ça Gill ? Si tu veux me faire souffrir, saches que tu y parviens à ton aise. Mais laisse-moi au moins me défendre. ". Alors, la deuxième main de Gill, rapide et distincte, droit au but, apparue et vint se cogner violemment, sous forme de poing, contre la joue de l'homme et libéra en même temps l'autre main de Gill. Celle-ci se redressa, retrouvant sa courbe fière tandis que l'homme essayait tant bien que mal de cacher sa douleur, essayant de combattre ce défi : l'insolence de Gill. L'indomptable. D'habitude, cet homme esquivait avec astuces et flexibilité les coups acides de Gillian, mais il ne pouvait pas gagner à tous les coups. Cet homme était fou amoureux de Gillian, depuis qu'elle lui avait offert une nuit en sa compagnie, et même si elle n'arrivait plus à le toucher physiquement, elle faisait fondre lentement et surement le cœur de son partenaire. Pourtant, c'était elle qui faisait le choix de continuer de le voir. Il l'attendait tous les jours, devant chez lui, à 19h, attendant qu'elle le rejoigne, gardant l'espoir d'un amour naissant entre eux. Mais, elle, continuant à jouer : à le frapper, à l'embrasser, à l'éviter, à coucher avec lui, à ne pas le voir pendant trois mois, avant de réapparaitre, semblait prendre goût à cet homme. Imprévisible, mystérieuse, l'homme désespéré attendait tous les jours un signe de Gill. " Parle-moi ! " dit-il, restant calme, le ton montant légèrement. En réponse, elle laissa deviner un sourire mesquin. Elle se retourna, et aussi vide qu'elle était venue, elle repartit, tel un esprit, comme si elle avait perdu la mémoire, comme si elle ne voyait plus cet homme, elle disparue dans les ruelles avec pureté et innocence.

C'était tous les jours la même rengaine, elle vivait, errait, perdue, se trouvait une victime : inconnue ou connue et recommencer le même jeu : faire souffrir. Elle était prête à tous les sacrifices pour voir la douleur dans le regard d'un autre, même s'il fallait pour cela, qu'elle se fasse mal, qu'elle se mutile, pour faire réagir l'autre.