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Je suis sortie, enfin. Jayden n'est pas là, il a prévenu pour dire qu'il serait pas disponible pour venir me chercher. J'ai longtemps réfléchi, et je me suis dit que c'était l'occasion d'aller voir Ange. Jayden est toujours sur mon dos, à surveiller chez qui je vais quand je suis chez lui, il veut toujours savoir qui sont mes amis, je n'ai pas l'impression d'avoir une vie. Ange, c'est ma double vie, c'est celle où je suis seule, sans personne pour prendre la place de maman, Ange, c'est la liberté, c'est ma liberté, et tout ce qui va avec. J'aime sa petite caravane jaune, j'aime l'entendre jouer de la guitare, son chien est super gentil, en fait. Sa chèvre me fait rire, quand elle vient chercher des câlins et que les poils de son menton chatouillent mes mains. Ange, c'est tout ça, et bien plus encore. C'est les soirées passées à regarder les étoiles, à discuter de ce qu'on fera quand on sera grand. Une fois, je lui ai dit que pour moi, on était de petites poupées mécaniques, avec une clé dans le dos pour nous remontés, comme les vieilles montres, et que c'est une grande fille qui joue avec nous, tout le temps, qui nous fait vivre. Il avait rigolé, sans pour autant se moquer de moi, et on avait continuer de regarder les étoiles, en méditant sur l'immensité de l'espace. J'ai ma valise à la main, mon bonnet enfoncé jusqu'aux yeux sur la tête, mon écharpe autour du cou, bien serré. Je pars à pied jusqu'au campement de Ange, et frappe à la porte de sa jolie caravane. Je pose ma valise sur le sol en terre, et prépare un joli sourire. Et puis il ouvre la porte, et le miracle a lieu. Ange, il porte magnifiquement bien son prénom, il est beau comme au premier jour. « Salut ! Je, hum... Mon frère venait pas me chercher, et j'me suis dit que j'allais venir te voir... Je repart si j'te dérange hein ! » Je supporte pas l'idée de le déranger si il est occupé à faire autre chose, mais comme toujours, il affiche un grand sourire. Ange, je t'adore !

Ange, il laisserait entré n'importe qui dans sa jolie caravane, dans son sanctuaire. Il ferait entré même un éléphant, même un indien; même le Capitaine Crochet, avec son bandeau sur l'œil et son bout de fer à la place de la main, lui le ferait rentré chez lui en lui proposant de prendre le thé. Alors dès que sa petite porte en tôle est ouverte, il m'attire à l'intérieur, au chaud. C'est vrai qu'il fait froid, dehors, on est bien mieux à l'intérieur. Je l'écoute me dire que je ne le dérange pas, parler de thé et proposer un chocolat chaud. J'hoche la tête, j'adore le chocolat chaud. J'ôte mon bonnet, retire mon écharpe, et pose le tout sur ma petite valise, qui contient quoi ? Ma vie ? Ma vie tient entre six bouts de cartons pas très solides, mais ça me fait rire. J'aime ça, ce sentiment de détachement. Pas de point fixe dans l'univers, quand je serais grande, je voyagerais partout et je serais nul part à la fois. J'ouvre un peu mon manteau, déjà réchauffée. Ange est lumineux, comme toujours, dans son jean élimé et sa chemise de bucheron. Et moi, j'ai l'air de quoi ? D'une perdue, dans son manteau trop grand, trop large pour mon corps trop maigre. Le chien ronfle par terre, je me baisse, pliant en deux mes jambes de sauterelle, et caressant sa tête. Je n'ai plus peur de plus, je n'ai plus peur de rien quand Ange est là. C'est lui qui me fait cet effet-là ? C'est lui qui me donne des ailes comme ça ? Peut-être bien. Sur le canapé, une fille dort, je sais pas qui elle est. Je me tourne vers Ange, parlant doucement. On ne réveille pas le bel enfant qui dort à poing fermé. « C'est qui, elle ? » Pas de jalousie, c'est stupide la jalousie. Juste de l'intérêt pour l'amie de mon Ange, pas de mauvaises attentions, je suis pas comme ça, moi. Ange s'affaire à préparer thé et chocolat, et je le regarde faire, tout en essayant discrètement d'observer la demoiselle qui dort toujours. Je suis pas méchante, mais par contre, je suis d'une curiosité maladive. Je m'approche d'elle, observe son visage. Elle est belle, belle à mourir, belle à s'en damner. Je comprends pas pourquoi elle est là. Peut-être un peu de jalousie dans mon cœur ? Cet infime pincement qui fait mal, c'est sûrement ça...

Il me répond qu'elle s'appelle Léa, et qu'elle allait pas bien hier soir. Ah, bon. Alors si c'est comme ça, ça va. Il continu de préparer thé et chocolat, et bien vite une bonne odeur s'installe dans la caravane, ce petit bout de paradis posé sur Terre, comme égaré, comme tombé du ciel. Vite, il pousse la petite table pour l'éloigner de Léa, et se tourne vers moi. « Pourquoi il est partit ton frère ? tu vas rester quelque jours ici ? » Je reste sans rien dire quelques instants, regardant mes pieds chaussés de bottes de pluies blanches, décorées de fraises. « Je sais pas pourquoi il est pas venu me chercher. Tu vois le grand bâtiment, en ville, avec des gens bizarres dedans ? Des gens qui crient tout le temps ? Il devait venir me chercher là, et finalement, il est pas venu. » J'ai un peu honte de dire que mon frère, mon Jayden, m'a laissée tombée, comme une vieille chaussette, sur le trottoir, avec ma valise et mes bottes à fraises. C'est nul comme attitude, venant d'un grand frère. « Si t'as assez de place pour moi, je veux bien rester un peu. Mais je veux pas te déranger...» Il sourit, et pose nos deux tasses sur la table qu'il a poussé tout à l'heure. Je m'assoit sur une chaise, et pose mes doigts gelés sur la tasse, la chaleur du liquide qu'elle contient filtre à travers elle et me réchauffe. « Merci » J'esquisse un sourire, avant de porter à mes lèvres la tasse. J'avale une petite gorgée, et la repose sur la table. Je viens de me brûler ! Cent fois, maman m'a dit d'attendre avant de boire quelque chose de chaud, et cent fois, j'ai désobéi ! Maintenant j'en paye le prix, j'ai l'air idiote, à me mordre la lèvre pour ne pas crier. Je vois Ange rire un peu. Idiot, va ! Ton chocolat est très bon, mais il en serait plus appréciable si il ne bouillonnait pas ainsi ! Comme je ne dis toujours rien, il me regarde, l'air de se demander ce qui m'arrive. Je ne répond toujours pas, j'ai vraiment trop mal, ça m'apprendra à être toujours pressée.