Balade morose ; quinze ans ; veux être explorateur

Je me suis arrêté là par distraction, peut-être aussi parce que je percevais le moyen d'égayer ma journée. Un peu. Le déchet humain ne m'a pas sauté aux yeux à vrai dire, et il n'a quitté son caractère insignifiant que très tard, une fois que j'eu vidé de leur intérêt toutes ces choses alentour qui pouvaient en présenter, même avec effort. Alors seulement je me suis penché dessus. C'était un suicidé d'une banalité sordide, apparemment pas de toute première fraîcheur. Un corps qui se trimballait si maladroitement avec son désespoir passé que je me sentais disposé, autorisé pour ainsi dire, à ne rien ressentir à son égard sans que cela engendre la désagréable conséquence d'avoir à m'interroger sur mon humanité. Certaines personnes parviennent à exsuder leur stupidité jusque dans leur mort. d'une façon inexplicable que je ne tolérais pas. Je relevais d'ailleurs assez vite que j'étais seul à être suffisamment désoeuvrée pour m'y attarder. Je crois que personne ne voulait prendre la responsabilité de le regarder d'avantage, de le questionner et d'arrive fatalement aux mêmes conclusions que moi. Ils n'auraient pas supporté. Ce cadavre était incapable de puer, et sa bouche était crispée dans une expression de je ne sais quelle souffrance qui évoquait plus un mauvais théâtre. J'ai pensé le gifler, voir un peu ce que l'on pouvait en faire, le réveiller, lui dire que non, on ne peux pas raisonnablement imposer ça à personne et que ma patience seule ne suffirait jamais à lui trouver quoi que ce soit de triste. Mon talent, lui, ne voulait même en entendre parler. J'ai préféré partir. Je me retrouve avec un cadavre incapable de puer dans la tête. C'est très pénible.

Couleurs tolérables ; dix-huit ans ; tente d'être peintre

C'était un mélange absolument inapproprié, une sorte d'aberration chromatique, par ailleurs totalement involontaire. J'aurais très naturellement pu en faire mon fond de justification si seulement ça n'avait pas été si beau. Qui voudrait invoquer la maladresse pour son chef-d'oeuvre... Je n'ai rien d'un Duchamp. Elle pissait quelque chose qui, par je ne sais quelle rencontre de sécrétions, n'avait plus grand chose à voir avec du sang, qu'il se soit agi de la couleur ou de l'odeur, que je n'avais pas imaginé si virulente pour mon nez expérimenté. J'aurais bien aimé y voir un peu de bleu... Mais je ne crois pas qu'il soit bon de saigner bleu. Les plus justes critères de jugement en matière de goût et de mutilations m'étant venus très jeune, je doutais de pouvoir remettre en cause mes propres valeurs esthétiques alors même que cette caricature féminine trifouillait dans son propre gargouillis. Si seulement elle avait su agoniser moins bruyamment, je suis sûr que j'aurai pu arriver a de meilleurs conclusions, plus abouties et plus utiles à mon art. Voir même à considérer l'ensemble des événements rétrospectifs pour optimiser les chances de reproduire à peu près et en l'améliorant, ce si goûteux mélange de sang, de lymphe et de bile, ponctuellement gratifié de la présence d'un peu de graisse. En tout cas, on dira ce qu'on voudra, mais le sang bleu, ce sera toujours mon utopie à moi, mon petit caprice conceptuel. Peut-être qu'en substituant au sang un peu d'une bonne acrylique, alors... ? Non, mieux vaut persévérer. Père avait raison, j'ai toujours été un grand gosse.

Panne de vie ; vingt et un ans ; s'est fixé sur terroriste

Deux cachets d'un blanc immaculé glissaient entre mes lèvres malmenées. Ne cherchant aucunement à faire oublier le goût acide et vomitif qui m'envahissait la gorge à leur passage, je m'étais parfaitement abstenu d'avaler le verre d'eau minéral, qu'il avait laissé là dans ce but précis. Sadisme exacerbé dans son geste, il sait que je ne boirai pas, jamais. Mais que le liquide incolore me narguera sa présence, tout juste évaporée. Mieux encore que s'il m'avait laissé un mot d'amour enflammé, menteur jusqu'au degré le plus intolérable et affuté, mais bien effectivement embrasé. Mieux encore que s'il s'était arraché une putain d'aile pour l'abandonner en offrande sur l'hôtel de ma feinte indifférence. Ne tardant pas à sentir la rage poindre aux bout de mes doits engourdis, j'avais saisi sans la plus infime hésitation, ou remord mortellement humain et ennuyeux, l'arme à feux qui patientait tel un ange-gardien ou un garde-fou, dont j'avais à peine conscience, sur la table basse à mille trois cent dollars de ma chambre à coucher. Immédiatement j'avais quitté la vacuité certaine de rester offert à la mélancolie dans des draps salis de son odeur, et de foutre aux relent d'extase dégueulasse, pour choisir l'action salvatrice d'un homicide. Celui-ci de sang froid et hasardeux cela est évident, comme seul peut le créer ma conscience débordante de réalité irraisonnée. Je ne me sentais en rien responsable de la catastrophe dès lors annoncée, qui déjà se balançait au dessus du crâne, où rien n'était de toute manière à sauver, des habitants de cette ville léthargique. Il était l'instigateur avéré de tout ce foutoir, de cette descente en enfer sans ascenseur ni escalier mais bien directement enchainé à la rampe de pompier. Cette satané chute à laquelle je me voyais forcé de survivre en agitant sans espoir ma mitrailleuse, telle une lance à incendie pour éteindre le brasier. Car il n'y avait rien à faire, l'appétit des flammes de la misérable condition humaine n'avait de limite que le nombre de balles contenues dans mon chargeur. Et d'explosifs entreposaient en dernier rempart dans ma Lamborghini dégoulinante de fric sale, prostitué par le vice devenu moralité comme adage. Ainsi soit-il.