Comme pour chaque fin de journée, Lauren finissait par ressentir ce nœud au fond de sa gorge, cette boule qui lui mettait l'estomac en vrac, contagion nerveuse qui faisait trembler son corps d'une haine douce et muette. Elle se rassurait facilement, rageant contre un gouvernement obsolète, invisible, qui ne jetait jamais un regard sur elle et cette bande de gamins qui courraient dans tous les sens en se foutant des claques, en hurlant de rire, gueulant des insultes comme s'ils marquaient les points de leurs phrases. Sa main glisse dans ses cheveux blonds, et elle soupire, s'adossant contre un mur en fouillant dans la poche de sa veste. Saisir le paquet de marlboro, en déloger une pour la coincer entre ses lèvres nues de tout artifice aujourd'hui. Pas de briquet, elle laisse échapper un léger ricanement, blasée par l'énième journée. Les choses la surprenaient toujours, étrangement. Si l'univers, son univers, se répétait sans cesse, comme un vieux vinyle qui saute, échappe les mêmes sons, elle restait face à lui avec un doux étonnement. Et c'est ce qu'il lui fallait, c'est ce qui la faisait tenir. Elle, la sale lécheuse de chattes qui osait s'adresser à Brian, quatorze ans, en face. Elle, la salope de goudou qui les dirigeait d'un ordre quasi martial quand elle en voyait deux se battre pour une pure connerie. Elle le connaissait bien cet univers, pour y être née, pour n'avoir jamais mis les pieds ailleurs, et savoir dors et déjà qu'elle ne le ferait pas. Coincée entre quatre murs d'un hlm, face au monde décrépit peuplé de jeunes à capuche pour se donner un air de racaille hollywoodienne, alcool, came, police absente. Mais elle l'aimait, ouais putain, elle l'adorait cet univers. Elle se sentait en vie, elle sentait ses mains plonger dans la réalité palpable. Elle crachait sur ces bobos bien pensants, donneurs de leçon, qui n'avaient jamais pausé un pied dehors, qui enfilaient les cours dans leurs amphis sans rien connaître du monde. Lauren, elle appréciait ce grand combat de chiens, Lauren elle prenait son pied, elle se laissait dévorer par l'adrénaline ou transcender par un calme sans lendemain. Lauren, elle les aimait ces gosses qui s'insultaient sous ses yeux. Et elle aimait cet univers qui te mâchait les chevilles.

Briquet enfin trouvé, elle tire une longue latte sur sa clope, décolle son dos du mur pour s'approcher du groupe. Sortie en plein air, censée ressembler à un match de basket aux groupes mixtes. C'qu'elle voit, c'est que les nanas se mettent dans un coin, balancent des regards plein de désir ou de haine aux mecs, qui se battent dès qu'un fait une mauvaise passe. Elle voit Puce aussi. Marlboro coincée entre ses lèvres, elle frappe dans ses mains pour attirer l'attention du groupe. « C'est fini bande de merdeux. » Elle sourit, moqueuse et maternelle, déloge sa clope de la main gauche, sert l'autre poing pour le poser sur le creux de sa hanche. Retour sur Puce, entourée par deux trois mecs. Le plus grand penché sur son petit visage, prêt à enfoncer sa langue dans sa gorge jusqu'à ce que mort par étouffement s'en suive. " « Hey Alec. » Alec, ou le champion en puissance. Dix sept ans, dealant en bas de chez lui de la H Space, violent. J'approche de quelques pas, nullement impressionnée par ce type qui me fait signe de la main de me barrer. « Quand je dis c'est finis bande de merdeux, ça vaut aussi pour toi, surtout pour toi. Allez barre toi.»