♦ Appartement d'Eden, honteusement squatté par un junky.
♦ Alexander Leonov & Noé S. Bomer
♦ Deux mois après l'incident-maison-abandonnée, les côtes de Noé vont mieux, il a revu Ash plusieurs fois, celui ci lui donnant son adresse au bout de la troisième fois. Fin de soirée, Noé débarque.

© Kazumi

D'un pas rapide, je monte les escaliers quatre à quatre, sans répondre au concierge en bas, qui me salue d'un signe de main. Il commence à avoir l'habitude le pauvre vieux, que je débarque sans prévenir à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Je fini par m'arrêter devant la porte de l'appartement d'Alexander, frappant deux trois coups en attendant qu'il vienne m'ouvrir.

« C'est moi, décolle ton cul du canapé et viens m'ouvrir. »

Les voisins aussi devaient en avoir marre. Lors de nos rencontres occasionnelles, on finissait toujours par se gueuler dessus où balancer des objets sur les murs. Ce soir, je ne pense pas qu'il allait faire exception.

So I think it's time for us to have a toast.

À moitié allongé sur le canapé, les pieds posés sur une commode, j'tente de désespérément de finir Crimes & châtiments, lorsque j'entend gueuler à la porte. Noé. Putain, ça lui arracherait les doigts de m'envoyer un message pour prévenir qu'il passe? Pour une fois que j'tais tranquille...
Plus ou moins dix minutes après, je finis par faire un effort de volonté et me lève, allant lui ouvrir, une clope aux lèvres.

« Si t'es venu pour me faire les poches tu tombes mal, j'ai rien. »

Lui recrachant ma fumée à la gueule en guise de bienvenue, j'vais m'installer de nouveau dans le canapé, le laissant fermer.

En général, quand je viens voir Ash, en deux minutes les habits se retrouvent éparpillés sur le sol et on finit sur le canapé ou dans son lit. Parfois dans celui d'Eden même si je trouvais ça un peu glauque. Sauf qu'aujourd'hui, c'est pas pour m'envoyer en l'air que j'ai frappé à sa porte. Au bout de quelques minutes, il vient m'ouvrir. Toujours aussi aimable mon homme des steppes.

« J'aurais pas frappé si j'étais venu te voler asshole. »

Je lui lance un regard mauvais, passablement énervé, et attend qu'il soit retourné s'asseoir pour fermer. Je me plante ensuite en face de lui, restant debout et pointe sur lui un doigt accusateur.

« T'aurais pu me prévenir que t'étais qu'un foutu nid à merde ! »

J'me pose sur le canapé, me remettant à lire. J'ai aucune envie de baiser, encore moins de le voir. M'étonnerait qu'il soit venu pour ça t'façon. J'suis claqué, j'veux juste qu'il me dise ce qu'il a à me dire et qu'il se barre. Une petite insulte pour entamer la conversation, ça fait jamais de mal. Vas-y crache moi dessus, j'en ai rien à foutre. Si ça peut te faire plaisir... Il vient se planter devant moi, levant un doigt accusateur dans ma direction. J'pose mon livre lentement, tirant sur ma clope tout aussi doucement.

« Un nid à merde? J't'ai connu plus inventif. J'suis censé comprendre quoi là? »

C'était quoi encore ses conneries? Il a pas pris ses calmant Mr. le bipolaire?

Non mais sérieux, c'était quoi cet air calme sur son visage, clope pendue aux lèvres ? Il croyait que je venais l'insulter pour la former ? Un petit tour et puis s'en va, comme si je n'étais même pas passé de la journée ?

« Si t'avais voulu m'tuer, t'aurais dû me laisser crever sur le plancher de la baraque plutôt que de me refiler ta connerie de maladie. J'ai reçu les résultats de mes dernières prises de sang ce matin et j'ai passé la journée à l'hosto. Et tu te permets de me faire croire que tu comprends pas ? »

J'étais plus à ça près remarque. Mais c'est vrais que mourir d'une overdose, ça paraissait cent fois plus doux que de crever à petit feu de ce genre de maladie.

J'avais tout sauf envie de m'énerver là. Mais fallait pas me prendre pour un con, j'ai mes limites, comme tout le monde. C'était bien gentil de baiser avec lui mais ça faisait pas de nous des potes, vu comme on se disputait les heures d'aprés. J'me lève et reste face à lui, tirant nerveusement sur ma clope.

« C'est quoi ce vieux délire? J'suis clean, ducon, pourquoi ce serait forcement moi, hein? T'arrêtes pas de te faire tirer à droite à gauche, j'vois pas pourquoi ce serait moi en particulier. »

Putain, si il avait choppé un truc y'avait des chances puor qu'il me l'ai refilé aussi. Merde, j'vais creuver aussi par sa faute.

Ça y est, les voisins doivent déjà être en train de monter le son de leur télévision ou ramener leurs couettes jusqu'à leurs oreilles. J'avais enchaîné clopes sur clopes après avoir lu le terme séropositif sur mes analyses mais rien, absolument rien n'avait réussi à me calmer. Ash qui tente de garder son calme, pour finir par limite me traiter de pute n'arrange pas la chose non plus. D'un geste, je lui arrache sa clope des lèvres, tirant une longue latte dessus avant de la balancer sur le parquet. Non, dans ma tête c'est lui, et lui seul qui a pu me refiler ça.

« J'suis le seul à aller voir à droite à gauche ? J'te ferais remarquer que j'ai passé quelques semaines dans un lit à cause de mes côtes, ça t'a laissé tout le temps d'aller fourrer ta queue dans n'importe quel trou. »

On dirait presque une petite amie en pleine hystérie, quand elle apprend que son copain l'a trompé. Sauf que là, c'était son … amant quasi régulier ? Qui venait d'apprendre qu'il était malade.

Mais merde, qu'est-ce qu'il venait me taper une crise là? J'devais pas être le seul mec à le baiser, j'me faisais pas d'illusions là-dessus. Valait mieux que ce soit comme ça t'façons, au moins y'avait pas de risque pour que les choses deviennent encore un plus compliquées entre nous. Il me pique soudain ma clope pour tirer un coup avant de la jeter sur le parquet, ne l'écrasant même pas. Vas-y fous le feu tant que t'y es, j'te dirais rien.

« Arrête, tu vas me faire pleurer. C'est quand même pas ma faute si tu vois pas où tu fous les pieds! Et laisse ma queue tranquille, 'kay? Non, j'me suis pas envoyé en l'air pendant que môsieur agonisait dans son lit. J'suis pas une nympho, j'baise pas tout ce qui bouge! »

Le ton monte, j'peux pas m'empêcher de lui gueuler dessus, p't'être que mes mensonges auront l'air plus réalistes comme ça. J'y pouvais rien si il avait choppé un truc qu'il avait surement du me refiler au passage.

Ça, j'aurais dû m'en douter, qu'il allait me renvoyer le truc dessus, me dire que c'était de ma faute, parce que je traînais régulièrement dans les back room et tout le reste. Ouais je faisais pas franchement attention à qui et comment je m'envoyais en l'air, mais jusqu'à présent, tout c'était bien passé, avec rien d'autre que mon héro' dans le sang. Et comme par hasard, le semaines qui avait suivit notre premier rapport, je choppais le sida. Il peut gueuler autant qu'il veut, j'en ai rien à battre, je gueule plus fort.

« Mais va te faire foutre Leonov, va te faire foutre avec tes conneries de pseudo pureté ! T'essayes de me dire que tu ne baises que moi ? Ça me fait chaud au cœur tiens. T'sais, dans le genre d'endroit qu'on fréquente toi et moi, on parle beaucoup, alors me fait pas croire que tu restes chez toi à bouquiner. »

On va en venir aux mains dans pas longtemps vu la façon dont se déroule notre échange verbal.

J'ai la sale impression de me retrouver en face d'une petite amie qui m'accuse de l'avoir mise enceinte ou un délire du genre. J'sais pas si apprendre qu'on était séropostif faisait l'même effet. Apprendre du jour au lendemain que sa vie est foutu, comme ça, avec quelques petits caractères gras écrit sur du papier glacé. Okay, il doit avoir la haine mais c'est pas une raison pour me venir me la cracher à la gueule comme ça. Il se met à hurler un peu plus fort et commence sérieusement à me les casser là.

« Ravi de savoir que mes histoires de cul t'interessent, tu veux un rapport détaillé de tous ceux que j'ai baisé ces dernières semaines? Non, parce qu'ils pourront te dire que j'me protège un minimum. J'sais pas pourquoi tu veux absolument que ce soit moi, j'tais fais quoi, merde?! »

J'tente de pas lui écraser mon poing sur le nez, mais c'est pas l'envie qui m'en manque.

« C'que tu m'as fait, c'est que tu m'as baisé, comme eux. Et que de mémoire, j't'ai pas vu sortir la moindre protection. »

Bon, fallait que je me calme un minimum, là, je me donnais juste en spectacle, dans un putain de dialogue de sourd. Je restais persuadé que c'était sa faute, parce qu'il me fallait bien un bouc émissaire, et qu'on se protégeait jamais. Je refusais de me dire que le problème venait de moi. Ce choc quand j'avais ouvert la lettre, m'attendant à un bête manque de sel ou une connerie du genre. C'était comme si le monde s'écroulait, d'un coup, avec un frisson qui remonte le long de l'échine. Je me tourne, fait quelques pas pour essayer de retrouver une respiration plus ou moins stable, et lâche un putain de circonstance.

« On va se retrouver dans le coin VIP de Freddie Mercury et Klaus Nomi. »

Mes conneries ne me font même plus rire d'un coup.

J'me passe une main fatiguée sur le visage, hésitant à le faire taire en le foutant dehors. Parce que ouais, il ne disait pas que des conneries. Mais comment j'pouvais lui avoir refilé un truc que j'avait pas? Par l'opération du Saint-Esprit? Ou alors j'avais peut-être choppé une serigue crade, c'était pas les occasions qui manquaient. Il chancèle d'un et se tourne, tentant apparement de pas tomber dans les vapes. Putain, quand je le vois comme ça, j'peux pas m'empêcher de m'en vouloir, de culpabiliser. C'est p't'être vraiment de ma faute... Mais ça n'empêche pas que je l'admettrais jamais devant lui. Je fais pas un geste vers lui, restant simplement planté là.

« T'es con, c'est pas comme si t'avais pas les moyens de te payer un traitement. »

Mais si j'avais vraiment choppé le sida par contre, mon cas allait s'avérer un peu plus problématique. J'avais pas vraiment les moyens de me faire suivre et ce genre de conneries, t'façons c'tait hors de question que je rentre dans un hôpital.

« Tu pourras me regarder crever, j'suis sur que ça t'feras bander. »

Ça me fatigue déjà cette histoire, et avoir tourné en rond dans une salle d'hôpital toute la journée en attendant qu'on vienne me dire quelque chose n'avait fait qu'achever mon humeur. Ash s'avance d'un pas vers moi, sa voix un peu moins forte et cassante que tout à l'heure. On a l'air de deux pauvres malheureux là, et ça ne servait à rien de se dire que tout allait bien se passer. Ça ne serait pas le cas.

« Traitement ou pas, on est condamné. »

Je laisse échapper un soupire et fini par m'asseoir sur son canapé, prenant ma tête entre mes mains. Ca me ressemble pas d'être aussi pessimiste. J'enchaînais peut être merde sur merde à une allure folle mais là, c'était le coup de théâtre, j'vois pas franchement ce qui pourrait m'arriver de pire. Je relève la tête vers le russe, un demi sourire en coin.

« J'fais pas dans la nécrophilie. Mais si tu veux, je te ferai empailler pour te mettre près de ma cheminée. »

Ma colère s'envole peu à peu, me laissant vide, me faisant prendre soudain conscience de la mort. Je tiens pas spécialement à la vie mais un minimum tout de même... Me dire que j'pouvais crever du jour au lendemain d'une grippe ou d'une connerie comme ça me faisait voir les choses sous un jour un peu différent. J'm'allume une nouvelle clope, essayant de digérer tant bien que mal la nouvelle. Ouais, j'avais toujours un vieil espoir comme quoi Noé m'aurait rien transmis, si c'tait lui qui l'avait choppé en premier et pas moi, mais j'y crois pas vraiment. Je vais m'assoir à côté de lui, me calant au fond du canapé.

« Me fait pas rire, j'ai les lèvres gercées... »

Je reverrais même pas la Russie avant de mourir. C'tait débile, digne d'une héroïne de romans pour adolescentes fleur-bleu mais ouais, mon pays me manquait. La neige blanche avait été remplacée par une pluie boueuse, les tours du Kremlin par des HLMs décrépis. Amen.

« Putain, tu viens de gâcher ma journée là. Sos Friendship ça existe t'sais? »

J'tente une petite vanne, histoire de l'énerver, la colère valant mieux que cette dépression pathétique qui rôde dans l'air.

Je finis par relever la tête, attrapant le paquet de clopes qu'Ash venait juste de reposer sur la table. Je sort une clope, l'allume, et retourne poser ma tête contre l'accoudoir. Apparemment, finir à côté de ma cheminée n'a pas l'air de l'emballer. J'sais pas, ça pourrait faire un joli porte manteau sinon, ou je le mettrai dans le jardin pour faire fuir les pigeons. Je veux pas dire qu'il est laid, au contraire, mais pas sûr que les oiseaux viennent picorer les cerises en croisant ses yeux froids. Je laisse échapper un rire, encore plongé dans mes pensées. Ça, il commençait à l'avoir intégré que j'avais des moments d'absence. Mais sa deuxième réplique me fait regagner la réalité.

« J'préfère venir t'emmerder plutôt que d'écouter la voix pré enregistrée. Mais quand je serai partit je t'en pris, va lui raconter tes problèmes vu que tu sembles abonné à ce numéro. »

Aie, mais c'est qu'il garde de la répartie le petit Noé. Je tire une latte et vient lui recracher la fumée dans la gueule, un rien blessé par sa remarque. Ouais, j'tais pas vraiment amical et alors? Qu'est-ce que ça pouvais lui foutre?

« Faut dire que depuis qu'on baise ensemble j'ai peur de tourner aussi mal que toi, j'ai pas envie de finir à l'HP moi. Comme j'peux pas me payer un psy, je fais avec les moyens du bord... »

J'écrase ma clope sur un cendrier qui traine par là, étouffant une toux rauque.

« T'as l'intention de squatter chez moi toute la nuit? J'dis ça au cas où que l'un de mes nombreux coups passe, sois pas étonné si t'es le seul à vouloir dormir. »

Je crois que je déteint sur lui ; on aurait remonté le temps à il y a trois ou quatre moi, il aurait même pas tenté le moindre humour – moi non plus d'ailleurs -, il aurait pas réfléchi plus loin et m'aurait collé son poing sur le nez. Pourquoi le nez, je sais pas, mais il faisait une fixette dessus depuis le début. C'est un peu plus détendu maintenant, comme quoi la baise, ça aide dans les relations. Même si les vannes balancées restent quand même blessante.

« J'savais bien que tu les enchainais plus que moi. »

Je tourne la tête vers lui, avec un demi sourire. Et blam, je te ramène à la conversation de tout à l'heure pour t'énerver.

« Ben si tu m'offres un café je veux bien rester. Tes amants au pire, s'ils se ramènent pour jouer à l'auberge espagnole, j'leur balancerai à la gueule pour qu'ils dégagent. »

Envie de passer la nuit avec lui ? Oui, sûrement.

J'aurais mieux fait de me la fermer, on en revient finalement aux sujets délicats. Surtout qu'en plus, j'vois pas pourquoi ça m'gêne, y'a rien entre nous, il est juste un mec comme les autres avec qui je baise. Ouais, c'est ça. J'me lève et lui tend la main pour qu'il se relève, l'entrainant dans la cuisine. Sa dernière remarque me fait sourire, m'étonnant un peu. Putain, j'me ramollis, même ses vannes à deux balles me font sourires maintenant.

« J'te savais pas si violent, t'as d'autres faces cachées de ta personnalité? »

J'prépare le café, m'appuyant contre le plan de travail en attendant qu'il soit prêt. Même si j'le connaissais un peu mieux depuis ces derniers mois, mis à part pour s'engueuler, on pouvait pas dire qu'on parlait vraiment.

Ash se lève et me tend la main. Deux secondes, je m'imagine qu'il va m'entraîner vers la porte en me tordant le poignet, pour me foutre dehors comme un mal propre. Mais je prends le risque, glissant mes doigts entre les siens. Sa direction part à l'opposé de la porte d'entrée, et il m'emmène jusqu'à la cuisine pour m'offrir un café. Hum, j'crois que la sienne personnalité, elle m'en cachait d'autant plus. Je me pose contre la table, tête légèrement penchée le regarder sourire. Fallait pas que ça devienne une habitude. Quoi qu'il était capable de me l'envoyer au visage une fois prêt, pour me montrer que c'est pas la meilleure façon de traiter ses amants.

« J'danse des claquettes à mes heures perdues. »

Je n'en rajoute pas plus, mes blagues finissant toujours par m'énerver au bout d'un moment.

« C'pas mal ces séances de confidences. Toi t'en apprends plus sur moi, moi j'vais me rendre compte que ton café est dégueulasse … on peut pas tout avoir. Bien baiser et être un pur chef cuisto. »

Allez, fous-toi un peu de moi, ça faisait longtemps. Danseur de claquettes.. Ouais. Rien que de l'imaginer me fait sourire un peu plus. Et me redonne accésoirement envie de danser. Décidement, c'tait la soirée pathos, faut que je me ressaisisse. J'me racle la gorge et reprend un air sérieux, allant chercher deux tasses dans le placard.

« Faudra que tu me fasses une démonstration un de ces jours. Et j't'emmerde, tu l'as jamais goûté, il est parfait mon café. Si t'aime quand c'est un peu fort. »

Ouais, j'ai tendance à le corser un peu, j'me faisais jeter quand j'en faisais au pub, les rares jours où je bossais. Les anglais préfèrent quand on sent rien. Pas moi. J'lui sers une tasse, ajoutant deux sucres dans la mienne. Soufflant un peu sur le liquide brûlant, j'le goûte, ne le trouvant pas mauvais. C'est du café quoi.

« Alors, verdict? »

Je le regarde faire, jouant avec un briquet posé sur la table. Il me fait rire, pour une fois. C'est vraiment bizarre de voir à quel point les relations avaient changées. Enfin comment certaines pauses venaient se glisser entre deux engueulades violentes. Les voisins devaient soupirer de plaisir en voyant qu'on c'était si vite calmé.
J'attrape sa tasse, la portant tout de suite à mes lèvres. Erk, c'est vrai qu'il était vachement fort son café, presque imbuvale. Je file jusqu'au lavabos pour cracher ma première gorgée, attrapant quatre sucres au passage.

« Si jamais j'ai un taux de sucre trop élevé, j'aurais des bonnes raisons de venir te gueuler dessus. »

J'avale une nouvelle gorgée, nettement plus douce même si le goût reste quand même acre. Ça doit être la recette à la russe, de mettre trois cuillères de poudre marron à la place d'une seule. Je finis par poser la tasse, m'approchant doucement de lui pour poser ma main sur une de ses hanches, restant tout de même assez loin pour éviter un possible coup.

« Ca m'fait peur quand même... »

De me dire que je t'ai peut être refilé cette merde.

Ouais, ben j'crois qui faudra que je repasse pour le café, il a pas l'air de véritablement apprécier. Il va vite recracher la première gorgée avant d'ajouter quatre sucres, précisant bien que c'est de ma faute si il en prend autant. Hey, j'te force pas à le boire non plus... Je termine ma tasse tandis qu'il s'approche de moi, restant tout de même à une distance prudente. J'lui fais si peur que ça?

« De quoi? Il était si dégueulasse que ça mon café? »

Je le fixe un instant dans les yeux et vais pour l'attirer contre moi, pour l'embrasser avant de me raviser au dernier moment, faisant mine d'enlever une poussière imaginaire sur son épaule. Putain, ça y est, mes accès de tendresse recommençaient. J'crois qu'il m'a pas filé que le VIH.

J'crois que j'ai besoin d'être un minimum rassuré, à être resté tout seul la journée entière. Enfin j'ai pas frappé à la bonne porte pour ça, j'aurais pu aller me lover dans les bras d'un tas d'autres personnes, qui auraient pleuré toutes les larmes de leur corps en me racontant tout l'amour qu'elles avaient pour moi. J'en avais plein mon répertoire, mais j'avais été chez lui, qui me dévisageait en me faisant une remarque sur son café. Uh, prends moi pour un con maintenant, ton café j'avais à peine trempé les lèvres dedans. Fallait que je le prévienne de toute façon. Je le sent m'attirer vers lui, ses lèvres se rapprochant dangereusement des miennes avant qu'il ne s'écarte, faisant mine d'enlever un truc son mon épaule. Je fronce deux secondes les sourcils avant de me détendre. J'allais pas lui gueuler dessus non plus, ça aurait été me trahir.

« On va dire que je t'en demanderai plus jamais. »

Je ne bouge pas pour autant, planté devant lui, yeux dans les yeux. Je mordille nerveusement ma lèvre inférieure. On dirait presque un gamin. Je finis par pencher la tête vers l'avant, ma main posées sur sa hanche remontant légèrement le long de son dos.

« D'ailleurs j'pense que tu devrais démissionner de ton job là. Sauf si tu veux qu'on te colle un procès pour intoxication alimentaire massive. »

Non, j'ai vraiment peur, alors autant l'extérioriser comme je peux.

J'me sens débile sur le coup, c'était vraiment pas crédible mon truc. Merde, Noé, c'était franchement plus simple y'a trois mois. Je dis pas plus agréable mais au moins, j'savais comment me comporter. Là j'suis tiraillé entre mes désirs et ma fierté, sans arriver à me décider.

Ca fait très petit couple là, "j'te fais un café chéri?" ... "non merci, j'tiens pas crever." Ouais, le fait qu'on soit séropositif est en option, le bonus quoi. Putain, si ça se trouve c'est une connerie qu'il a inventé pour me faire flipper ou un délire de ce genre. Ce serait tout à fait son style. "Haha, t'as bien flippé Leonov hein? Avoues que je joue bien.." Sauf qu'il jouerait un peu trop, non, c'est pas crédible, il ne me raconte pas de la merde. Et pourtant.. j'arrives pas trop à réaliser j'crois.

« Y'a que des junkies dans ton genre qui passent là-bas, j'pense pas qu'ils manqueront vraiment à quelqu'un si ils crèvent... »

Je lui attrape le menton, le relevant pour le regarder dans les yeux de nouveau, ne resistant pas à lui voler un baiser cette fois. Je passe ma main derrière sa nuque pour le garder un peu plus longtemps contre moi, m'écartant quelques secondes après.

« Fais pas cette tête là, on dirait un chien battu.»

Ouais, bourré de junkies …. j'me demandais même plus pourquoi il avait trouvé ce taff et pourquoi on avait bien voulu l'engager. J'lui ferais une visite surprise un jour ; après tout, on doit avoir des tas de potes qui squattent ce bar miteux. Mais c'est vrai que si on devait mourir, on manquerait pas à grand monde. Enfin moi si, je suis sur que mes funérailles seront bondées, mais je me garde bien de lui dire. Voire de lui communiquer la liste de chanson que je veux qu'on y passe. Quoi ? J'adorais passer mon temps à faire des listes.
Ash cale sa main sous mon menton, pour me faire relever la tête pour poser ses lèvres sur les miennes. Je ferme les yeux quelques secondes. Ça fait du bien quand même. Oula Noé, wake up. En général, devant lui, j'essayais de ne pas paraître trop fleur bleu ou gamin en mal d'affection. Le russe fini par se décaler et je reprends appui sur la table.

« J'croyais que les chiens c'était ton rayon trappeur. »

Faut bien ré équilibrer la situation. J'crois que je le lâcherai jamais avec ça. Je fini par quitter mon perchoir, pour me re diriger vers le salon.

« Avoue qu'au final t'as que moi comme amant. Il est vingt trois heures et personne à ta porte. »