Spoiler:

Je n'aurais jamais cru qu'elle l'aurait fait. M'appeler comme ça un soir, pour m'apprendre ce genre de nouvelles. Je pensais que ça lui serait passé au dessus, qu'elle n'en avait rien à faire de ça, que ça ne la concernait pas. Que je ne la concernais plus. Ce n'était pas son truc, les sentiments, et pourtant, quand elle avait lu le nom de Tabitha Cartwright sur les entrées aux urgences, elle avait fait l'effort de décrocher son téléphone. Un message court mais tout de même présent.
J'avais accourus, j'avais fait au plus vite pour venir retrouver ma meilleure amie. Je détestais l'hôpital, j'avais toujours détesté ces murs blancs, froids, et toute cette panique. Deux heures à patienter, à me torturer l'esprit dans la salle d'attente avant qu'enfin, une infirmière vienne me chercher pour m'emmener jusqu'à sa chambre. La voir étendue sur ce lit me donne l'impression d'étouffer. Je m'en veux, tellement. Je m'approche doucement du lit, ma main effleurant la sienne

« Tabbie ? »

La fin de phrase semble rester coincée dans ma gorge.

Je sais pas trop ce qui s'est passé. Je sais plus. Ou alors je fais le tri, inconsciemment. Je me suis réveillé, et c'était blanc. Trop blanc. Aveuglant. Le contraste entre le noir que je viens de vivre me frappe. Je veux retourner au noir, au néant. C'était tellement bien. Tellement doux. J'avais plus mal. Je sentais plus rien. Ici, j'ai l'impression de crever. Y a pas une seule parcelle de mon corps qui me fasse pas souffrir. Même mon esprit. Ça me rend folle. Bruit de pas dans la chambre, la voix de Noé. Oh, non.

« Chut, je dors. »

Je ne sais pas comment elle va réagir à ma venue. Ni même si elle va être assez en forme et pas trop shootée par la morphine pour ouvrir les yeux, capter que quelqu'un vient d'entrer. J'ai une horrible boule d'angoisse au niveau de l'estomac. J'ai peur qu'elle me demande de partir, comme ce que j'avais fait avec elle quelques heures plus tôt. J'ai l'impression que tout ça est de ma faute. J'aurais dû la rattraper dans les escaliers, plutôt que de faire ça pour son bien. Pour son bien tu parles, voilà où ça nous a mené.

« Tabbie, je suis désolé. Pour tout ce que j'ai pu te dire. »

Je sent les larmes monter, la boule d'angoisse prendre plus d'importance. Je me sent affreux, tellement mal de lui avoir fait ça.

« Tout ça c'est de ma faute. Je suis tellement désolé. »

Oui, c'est de sa faute. Mais ça, j'peux pas lui dire. C'est pas humainement possible. Même entre nous, qui nous balançons les pires vacheries à tout bout de champ. Et puis même. Je pourrai jamais. Même dans dix, vingt ans, je pourrai jamais lui rebalancer ça. Parce que c'est Noé. Parce que c'est lui et qu'il culpabilisera encore dans dix, vingt ans. Il s'approche du lit sur lequel je suis allongée. Il a l'air mal. Suffisamment pour que j'efface d'un geste de la main ses excuses.

« Je m'en fous. Je suis pas morte, c'est pas grave. Tout le monde va bien, hein ? »

Oui, tout le monde va bien. Sauf ma mini. Aïe.

« C'est cool. On oublis tout, okay ? J'veux plus en entendre parler. »

Je détourne le regard, observe l'extérieur par la fenêtre. Enfin, le peu que je peux en voir.

« Mais si tu voulais plus de moi, t'aurais pu le dire avant. »

Tabbie qui me dit que ce n'est pas grave, qu'on oublie et qu'on recommence, comme si rien ne c'était passé, j'ai du mal à le croire. Tabbie, regarde toi ! Regarde les tubes qu'on t'a mis sur les bras, écoute la machine qui bip par intermittence, et ce jour qui commence à peine. Certains diront que c'est un malheureux concours de circonstance, moi j'ai déjà mon avis sur la question. J'ai envie de pleurer, ou j'ai envie d'une défonce pour oublier la culpabilité.
Je m'approche un peu plus, hésite avant de passer ma main sur sa tignasse rousse en désordre.

« Je t'aime Tabbie, plus que personne. J'essayais juste de ... »

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase, une infirmière entre dans la chambre en frappant quelques coups sur la porte. Je laisse ma meilleure amie pour aller la voir, reculant de quelques pas dans le couloirs. […] J'ai les larmes qui commencent à poindre quand je rentre de nouveau dans cette chambre.

« Tabbie... Le bébé ... »

J'aime pas l'expression inquiète de son visage, ni les larmes qui brillent dans ses yeux. J'ai dis qu'on oubliait, non ? Pour moi, c'est déjà fait. Je gratte distraitement le sparadrap qui maintient en place ma perfusion. Noé, comment tu fais pour te piquer tout les jours ? Est-ce qu'à force, t'est devenu insensible ? Je regarde toujours par la fenêtre, et seul le bruit des pas sur le linoléum m'apprends que mon meilleur ami s'approche de moi. Je sens sa main dans mes cheveux, et tourne mon visage vers lui. Il parle, dit qu'il m'aime. Menteur. Si tu m'aimes, pourquoi tu as dis ça ? La fin de sa phrase s'envole en même temps qu'une infirmière rentre dans la pièce et lui fait signe de la suivre. C'est le silence dans la chambre, c'est noir. Je n'entends pas Noé et l'infirmière, dans le couloir. J'espère qu'elle lui annonce rien de trop grave. Je garde les yeux fixés sur les deux ombres, une main crispée sur mon ventre. Et Noé revient. Et je comprends rien. Je veux pas comprendre. Je reste à le regarder, amorphe, sans rien dire. Pourquoi ?

Comment j'étais censé lui dire hein ? Je préférais qu'elle l'entende de ma bouche, plutôt que de celle d'un infirmier. C'était tellement froid leur façon de l'apprendre. Des mots balancé sur un ton égal, avec le nous sommes désolés de politesse. Ils n'étaient pas concernés, moi si. Alors j'avais dis à l'infirmière que ça serait de ma bouche, que Tabbie apprendrait la nouvelle. Sauf que maintenant, j'hésitais, je ne savais pas comment m'y prendre. Elle souffrait déjà tellement.
J'avance encore d'un pas, passe une main sur son front et entre ouvre les lèvres mais aucun son ne sort. On ne devrait pas avoir à annoncer ce genre de chose. Le bébé, il n'avais pas survécu.

« Je .. Je dois appeler Sidney, il doit se faire du soucis pour toi. Je vais lui dire que tu vas bien et te chercher un truc à boire. »

Lâche. Je sors de la chambre, attrape mon portable pour composer le numéro de Sidney.

« Sid, je suis à l'hôpital, Tabbie … a eu un accident. »

« Sid, je suis à l'hôpital, Tabbie … a eu un accident. »

- J'arrive.

Choque. Explosion en pleine gueule. Troisième guère mondiale dans ma tête. Un château de cartes est si vite écroulé, me dis-je en raccrochant. Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, en pause. Il me fallut quelques minutes pour réagir. On s'en branle des cartes, deuxième pensée, encore une fois inutile. Je crois que je déraille sur le cas présent. Je suis tout aussi incompétent que mes grotesques réflexions, j'avale ma salive avec un air terrifié. La peur prend le dessus sur l'étonnement. Et dans une panique certaine, je quitte la maison, voiture, direction l'hôpital. Je roule certainement trop vite, les passants dans la rue, les enragés sur le siège de leur caisse, la police, ils ne savent pas ce qui m'arrive ; si oui, ils comprendraient mon excès de vitesse. Je me retrouve au première étage de l'hôpital, lieu tout aussi morbide que ses blocs opératoires. Je me dresse devant une des femmes d'accueil, lui demande poliment le numéro de la chambre de Mademoiselle Tabitha Cartwright. Mon pied frappe à plusieurs reprises le sol tandis que cette pauvre bonne femme cherche l'information dans son ordinateur. Putain, c'est pas trop tôt. Le numéro en tête, je me le répète sans cesse, j'ai peur de l'oublier, ma mémoire est défectueuse pour ce genre de situation. Ascenseur, couloir blanc, porte. Un long souffle émane d'entre mes lèvres, hésitant à rentrer. Je me sens con. Je lance un furtif regard à Noé, qui étrangement se trouve à l'extérieur de la chambre. En général, j'ai toujours une parole à sortir, et là pour le coup : je suis muet.

- Comment elle va ?

J'aurai mieux fait de rester muet. Question débile.

J'ai besoin d'aide, de celui qu'elle aime, de celui qu'on aime. Celui qui ne l'a pas trahi, qui ne l'a pas envoyé à la mort lui. Pourquoi est ce que je l'avais laissé partir ? Il faudrait que j'arrête, de me torturer comme ça, assumer un peu. Je reste le dos collé au mur, portable à la main au cas où Sidney décide de ne pas venir. Pourquoi ? J'en sais rien, je suis tellement bouleversé que je n'aurais pas voulu raccrocher, le garder tout le long jusqu'à le voir apparaître au bout du couloir.
Tabbie doit se demander ce que je fais, peut être même angoisser dans sa chambre alors que ma silhouette se devine près de la porte. La voix de Sidney me sort de mes pensées et comme pour Tabbie quelques minutes plus tôt, je reste muet quelque secondes.

« Elle va bien. Enfin, elle a des côtes cassées, et devra rester couchée quelque temps. »

Je baisse les yeux, fixant le sol qui prenait un intérêt soudain.

« Elle était enceinte. » Je laisse échapper un soupire. « Elle l'a perdu. »

Dire que quelques heures plus tôt, on rigolait à se dire que le gamin viendrait détruire les toiles de Sidney … Happy Family.

J'observe longuement Noé puis, la porte, puis Noé, puis la porte, enfin voilà en gros le topo. Angoissé, je suis angoissé, je n'aime guère être angoissé. Tabbie à l'hôpital, ça paraît dingue et pourtant c'est vrai. J'ai les idées plutôt confuses tandis qu'elles se heurtent les unes contre les autres dans mon esprit, torturé par l'instant présent. Encore une fois : j'ai l'air d'un con, incapable d'aligner une phrase sans bafouiller. En état de choque, peut-être. J'aurai préféré que ce soit une blague, de très mauvais goût certes mais au moins, Tabbie serait en parfaite santé à vaquer à ses occupations quotidiennes. Hélas, nous ne sommes pas dans un film, c'est bien dommage d'ailleurs, la réalité est tant sauvage qu'elle en devient blessante. « Elle va bien. Enfin, elle a des côtes cassées, et devra rester couchée quelque temps. »Quand même. Je ne sais pas trop quoi répondre.

- La pauvre.

Je semble totalement insensible, sans cœur ou que sais-je. Alors que pas du tout, je suis juste paumé, perdu, troublé, déphasé. Je ressemble à un type dopé aux médicament par un lugubre asile. « Elle était enceinte. » Premier rictus étonné sur le visage. « Elle l'a perdu. » Second rictus étonné sur le visage. Mon état n'est guère difficile à imaginer, j’apprends qu'une des personnes que j'aime le plus en ce fichu Monde est à l'hôpital, qu'elle était enceinte et qu'elle vient de perdre l'enfant. The end dans ma tête. Bloqué. Putain, Dieu n'existe vraiment pas. Je me morfond quelques secondes, c'est la fin des rires, me dis-je. Nouvelle fois, je ferai mieux de ne plus penser. Je passe mes mains dans mes cheveux, puis sur mes joues. Une question débarque : bébé ouais, mais de qui ? Puis, elle s'envole la question chiante. Je crois que c'est pas si important pour le coup.

- Ça fait beaucoup là, dis-je en soufflant désespérément, c'est vraiment à chier, elle mérite pas ça.

Et ouais Sidney, t'as manqué d'être papa aujourd'hui. Dire que je planifiais déjà les tours de rôles pour changer la couche du gamins, que je comptais me charger de son éducation hors scolaire et tout ce qui allait avec. Au fond, ce qui importait, ce n'était pas le père, mais la nouvelle famille que l'on aurait constitué. Même si cette famille, je n'avais pas pu m'empêcher de donner un grand coup de pied dedans pour la détruite. Well done Bomer, tout partait en éclat.
Je tourne doucement la tête vers la chambre, toujours indécis sur comment j'allais m'y prendre pour annoncer tout ça à ma meilleure amie. Je mordille ma lèvre inférieure en me reconcentrant sur Sidney. Je me décolle du mur, avance d'un pas vers lui, pour poser ma main sur sa hanche. C'est toujours moi qui vais mal, elle est toujours là pour me ramasser. Et cette fois, c'est son tour et je ne sais pas du tout comment me comporter.

« On c'est engueulé avant l'accident, on avait un peu bu et elle a pris la voiture. J'aurais dû la retenir. » Je suis un imbécile. « Je ne lui ai encore rien dit, pour le bébé. »

Sid', tu te dois de rependre ton espèce d'esprit en main. Plus facile à dire qu'à faire hein, proverbe à la con. J'ai envie d'une clope, addiction malsaine. Franchement, la situation est bien moche, et moi je trouve qu'une seule fabuleuse – ironie – idée, intoxiquer mes poumons d'un air dépressif. Enfin, ce désir s'envole aussi rapidement qu'il est venu, je me concentre à nouveau sur le tragique problème. Bordel, ça fait chier. Remarque constructive, évidemment. J'use d'un sarcasme envers moi-même, ça ne va plus très bien. Noé s'approche, la chaleur humaine est réconfortante, tout le monde recherche ça. Un regard furtif frappe contre la porte, je suis désespéré. « On c'est engueulé avant l'accident, on avait un peu bu et elle a pris la voiture. J'aurais dû la retenir. » De la culpabilité se fait ressentir. C'est des choses qui arrivent, deuxième proverbe à la con, je crois que les plus coupables dans l'histoire sont l'alcool et ce destin de merde. Peut-être suis-je trop optimiste pour le coup ? Mais, je n'arriverai certainement jamais à mettre une telle étiquette sur Noé, dans le fond, il n'y est pour rien, c'est la vie qui veut cela et non lui. Un sourire en coin se scotche sur mes lèvres tandis que j'essaye d'adopter une mine réconfortante. Je ne trouve rien à répondre, mis à part lui embrasser le front. « Je ne lui ai encore rien dit, pour le bébé. » Ça va trop vite pour moi, je recule de quelques pas. Je suis lâche.

- J'en suis incapable.

Franchement, j'ai honte. Plus faible, tu meurs. Après mûres réflexions, et les yeux posés sur ce Noé inconsolable, je révise mon jugement.

- Bon... Il faut peut-être attendre pour lui annoncer ? Non en fait, je suis con. Autant lui dire immédiatement, je suis complètement à l'ouest. Mais, je ne te laisserai pas faire cela tout seul. On rentre.

Ma voix est hésitante, elle bafouille, à côté de la plaque ? Ouais. Je ne sais pas trop quoi faire. Je sais seulement que je veux rentrer dans cette chambre.

Tabbie, perfusée partout où cela est possible, un visage si malheureux, cela ne lui ressemble pas. Je m'approche lentement de son lit, lui caresse la main du bout des doigts. Bordel, ce que ça peut faire mal. Pouvoir toucher, observer, pleurer une personne chère à nos yeux et hélas souffrante ; n'avoir aucune utilité, obligé de rester là, impuissant. Inapte à prononcer un mot.

Je sais pas ce qu'il a voulu me dire. J'essaye d'ignorer la sonnette d'alarme dans ma tête, celle qui me souffle déjà l'ignoble vérité, cette vérité que je ne veux pas savoir. Je sais pas du tout ce qui se passe derrière la porte, Noé l'a fermée derrière lui. Sidney est peut-être arrivé, ou peut-être pas. Si ça se trouve, il n'est pas venu, il n'en a rien à foutre, que je sois en train de crever. Rien à foutre de moi, rien à foutre de Noé. Rien à foutre du couple bancal qu'on forme. Et de l'étrange petite famille qu'on s'apprête à former. Même si Sidney n'est pas là, j'aimerai que Noé rentre, et m'enlève ce doute de l'esprit. Que tout redevienne comme il y a quelques heures, quand on se marrait en parlant du bébé. C'est ma faute si on en est là, si Noé est mal. J'aurai dû la fermer, avec mes petits microbes. Mais non. Tabbie la grande gueule. Un jour, je me couperai la langue. Mais pas tout de suite. Pour l'instant, deux silhouettes se découpent en ombres chinoises à travers le verre de la porte. Aucun son ne me parvient, tout est calme, trop silencieux. J'ai peur. De quoi, j'en sais rien, mais je suis morte de trouille. Ma peur atteint son summum quand mes deux amours pénètrent dans la chambre. Le visage de Sidney semble déjà marqué par une mauvaise nouvelle, comme si toute la misère du monde lui était tombé sur les épaules, comme ça. Il s'approche de moi, vient caresser ma main. Mes yeux me piquent. Doucement, j'attrape sa main et l'attire contre moi. Merci. Merci

« Sidney... Tu m'as manqué... »

Un baiser sur sa joue, tout en fixant Noé, resté en arrière. Mes yeux l'incitent à me dire ce qui se passe. A tout me dire.

On se décide enfin à rentrer. Une fois à l'intérieur, j'évite soigneusement le regard de ma meilleure amie. Rien que de la voir étendue là, au milieu avec sa perfusion et le petit bazar que les infirmières avaient branché autours d'elle, j'en ai mal au cœur. Ça me donne même un haut le cœur, et la peur me reprend. Pour une fois dans ma vie, une seule fois putain, faudrait que j'arrive à trouver le courage. C'est tellement simple en général, de trouver des parades pour se faire la belle dans un coin de mon cerveau. Là, je n'ai pas d'issue possible.
Tabbie attrape Sidney pour le serre contre elle, et j'allonge le pas jusqu'à la fenêtre, m'adossant contre sa paroi froide.

« Tabbie, le choc a été trop fort pour le bébé. Je suis désolé. »

Au moins c'était dit. Il n'y a pas de bonnes façons d'annoncer ce genre de nouvelles.

Le silence. Le silence dans ma tête, dans mon cœur. Un grand vide partout. J'aimerai me lever et gifler Noé. Lui faire ravaler ses paroles, le traiter de menteur. L'obliger à me dire la vérité. Ça peut pas arriver. Y a que dans les mauvais films que l'héroïne perd son bébé dans un tragique accident de voiture. Moi, j'suis pas une héroïne, j'ai qu'un second rôle, c'est pas sensé m'arriver. Dire qu'il y a quelques heures, je me demandais si j'allais le garder ou non. Le sort avait décidé pour moi. Inconsciemment, je crois que j'avais compris, dès que Noé avait esquissé un phrase, avant de prendre la fuite. Mais comme n'importe qui, je refusais de comprendre et de voir la vérité. J'ai mal, tellement mal. Sauvez moi, les garçons. C'est trop douloureux pour être vrai. Tout devient flou. Seul reste net le visage à la fois impassible et défait de Noé. A la périphérie de mon champ de vision, je vois Sidney tourné la tête vers mon meilleur ami, puis finalement prendre place sur une chaise, le visage entre les mains.

« Dis pas ça. Tu mens ! Tu mens ! Tu m'as toujours menti ! »

Je me tourne vers Sidney, prête à lui demander de confirmer ce que je dis, mais son expression malheureuse me fait ravaler mes paroles. Non...

Encore une fois, Noé fit preuve d'une délicatesse inouïe. Sur ma chaise, tronche plantée vers le sol, je n'ose même pas soulever la tête. De peur d'entrevoir le regard pleurant de Tabbie. Alors je suis là, réfléchissant, cherchant un moyen d'apaiser les esprits, mis à part avoir comme pote Harry Potter et sa baguette, je ne vois vraiment pas. Le château de cartes me revient en mémoire, d'un simple coup de vent, boum. Sommes-nous si fragiles que cela en réalité ? Je ne pense pas, impossible. Incapable de confirmer le drame par une phrase, je rabaisse à nouveau ma gueule, de retour direction le sol. Tabbie bien qu'elle semble guère se l'avouer pour l'instant, elle a compris. Et les larmes me montent de l'entendre hurler ainsi. Qu'il ne reste plus rien que les yeux pour pleurer, comme dirait Gainsbourg. Ce vieux con, même mort, est toujours là pour assombrir un sujet. Je vais me répéter : je suis à l'ouest. Apprenant juste toutes ces déplorables nouvelles, les informations se cognent les unes contre les autres, c'est Babylone à l'intérieur.

- Tu devrais te calmer Tabbie, ne serait-ce que pour ta santé.

Elle va m'assassiner sur place après cette phrase.

Là, tout de suite, j'aimerai pouvoir me terrer quelque part. Ou qu'une infirmière rentre à la course en me demandant de venir l'aider à l'autre bout de l'hôpital. Voire du monde, ça aurait été tout aussi rassurant. Les yeux embués de larmes de Tabbie, c'est comme un coup de couteau que je ne veux même pas éviter. Elle commence à hurler que je lui ment, et tout se que je trouve à faire, c'est tourner le visage, essayant de capter tout ou n'importe quoi pour m'enfuir de cette chambre ; mais il y a toujours un bruit pour me ramener entre les quatre coins de cette pièce : la voix de Tabbie, celle de Sidney, le bruit de l'electro … C'est tellement lourd. O Tabbie, j'aurais préféré te mentir, raconter une énième connerie. Je pourrais faire mon lâche, encore une fois – quoi que là, niveau courage, j'en avais eu – et fuir l'hôpital. C'est pas Tabbie qui parviendrait à me courir après. Et Sid, j'suis certain qu'il aimerait être à des années lumières d'ici.

« Sidney à raison, évite de trop bouger. »

Je me tourne vers Sidney dès qu'il m'adresse la parole. Tais toi. Tais toi. Tu ne savais rien. Tu viens d'apprendre que tu aurais pu être père. Comment tu peux pleurer avec nous ? Tu arrives après la bataille, et tu te permets de t'apitoyer avec nous ? Vas-t-en ! Laisse nous tranquille... Je me tourne vers Noé, juste assez tôt pour le voir éviter mon regard. Bah tient. Alors tout le monde m'abandonne. La réaction de mon meilleur ami et de Sidney me douche, et je me laisse retomber contre l'oreiller. Je grimace et retient un cri sous le choc. Qu'est-ce qui se passe, encore ? J'ai les poumons arrachés, je vais devoir vivre toute ma vie sous respirateur ? Je m'en fous, en fait. Il y a pire. Toujours pire. Je pointe un doigt rageur successivement sur Noé et Sidney.

« Ne me dites pas ce que je dois faire ou pas ! »

Inutile. Impuissant. Ignorant. J’incarne les tristes trois « I » à la perfection. On a beau faire on a beau dire, le malheur nous rattrape toujours, plus rapide, plus vicieux, plus macabre. Le bonheur est éphémère, hélas. Mon optimiste naturel s’envole encore un peu plus tandis que Tabbie hurle. Mes dents rongent mes ongles, machinalement, à m’en les arracher. L’autre main dans les cheveux, j’analyse. Du moins, j’essaye. Elle a raison la Rousse, on devrait fermer nos gueules et acquiescer d’un mouvement de tête. Cependant c’est ainsi, nous ne sommes pas capables d’aborder un silence pesant, au risque de se perdre en lui. Mes larmes se stoppent. Je n’aime guère pleurer devant Tabbie, je ne vais pas chialer. Joué l’homme fort. La blague. Ils me connaissent bien assez pour savoir que je suis l’archétype du lâche égoïste et immature. D’ailleurs, j’ai été égoïste. Pas assez là en ce moment. Trop éloigné. Trop paumé. La preuve : je n’étais au courant de rien et pourtant, j'habite sous leur toit. Mes yeux s’égarent vers Noé. J’ai envie de prendre l’air, partir de cette chambre blanche, m’exiler je ne sais où.

- Je suis désolé.

Excuses jetées, elles ne justifieront ô grand jamais ma bassesse. Je me sens tout aussi coupable que Noé. Coupable d'arriver toujours après guerre. Merde.

Si je pouvais lâcher un viens, on s'en va Sidney, sans m'en vouloir instantanément après, je l'aurais fait. Rien contre Tabbie, juste que quelques minutes de plus et j'étouffais. Ou je craquais complétement, tout dépend. Ça serait pas un grand changement ça, j'avais toujours eu du mal à contrôler mes émotions. Mais à certains moments, il fallait savoir se contenir. Me mettre à me plaindre ou à pleurer dans mon coin, aurait détourné l'attention portée sur Tabbie, j'en étais certain. J'aurais pu lui mentir, j'aurais peut être dû. Et après ? Scier la rampe d'escalier pour qu'elle se recasse les jambes et pense avoir perdu le bébé toute seule ? Noé, ne commence pas à rire, à partir dans les recoins de ton esprit tordu.

« C'est ce que l'on appelle le baby boom ... »

Il le fait exprès. Ce mec est d'une cruauté, c'est pas possible. Pas humainement possible. Et les paroles d'excuses de Sidney. Pardon pour quoi ? J'étouffe. J'ai mal. Une putain de douleur qui irradie partout. J'arrive même pas à pleurer. J'ai l'impression d'avoir déjà gâchées toutes mes larmes dans ma dispute avec Noé. Et maintenant j'ai plus rien pour faire mon deuil de cette petite vie coupée en plein élan. Je crève d'envie de balancer mon oreiller à la gueule de Noé, de faire taire le rire que j'entends déjà au fond de sa gorge, pour effacer ce sourire qui se peint déjà sur son visage. Mais je me contente de le fixer froidement.

« Tu trouves ça drôle, Noé ? Et toi, Sidney ? Hein ? Juste comme ça, vous trouvez ça drôle ? »

« C'est ce que l'on appelle le baby boom ... » Un rire gratte ma gorge, qu'il est con mais bordel qu'il est con ; le pire : c'est certainement sa plus belle qualité, la plus admirable. C'est comme le rire absurde qui intervient subitement lors d'un triste enterrement, ou celui qui vous atteint quand un de vos professeurs hurle à s'en éclater la gorge sur la classe. C'est un rire cruel ; c'est un rire exprimant un stress certain. De plus, il est communicatif. Décidément, Noé m'embarque toujours dans les choses les plus folles. Cependant, le plus terrible dans cette histoire, le simple faîte d'entendre Tabbie s'agaçer m'extirpe un éclat de rire total. Je reprends mon sérieux, du moins, j'essaye. Mon esprit déphasé domine par moment, c'est ainsi. La Rousse semble désirer notre mort sur l'instant, rien de plus normal après tout. Je balance ma tête de gauche à droite, comme pour répondre un "Non" peu convainquant à Tabbie.

Bon, faut avouer que ma blague n'était pas de très bon goût. Mais c'était plus fort que moi, il fallait que je sorte une connerie. C'était assez soft dans le genre non ? Parce que j'en avais une ribambelle qui se bousculaient depuis tout à l'heure pour sortir. Que Tabbie ne trouve ça pas drôle, je le comprends totalement – mais après coup -. Au moins, il y a un amateur de blague vaseuse dans cette salle. Et j'ai le fou rire qui me titille. Un truc un peu nerveux quand même, je suis pas sadique. Je ne pensais pas à mal … fallait juste que je balance un truc. Sidney qui éclate de rire à son tour, et Tabbie qui garde son air sérieux, les sourcils froncés. Elle nous aurait fait la peau, si elle pouvait seulement se lever.
Je passe une main sur mon visage, essayant de cacher cet espèce de sourire, sans pouvoir dissimuler les larmes qui bordent mes yeux. Les fous rire tombent toujours mal. Mais vraiment mal.

« J'suis désolé Tab.... hé … Vraiment ! »

Paye tes excuses.

Je rêve. Des dingues. Ils... se marrent. Les enfoirés. Et c'est pas du rire de tafiole. Enfin, si, techniquement, si, c'est du rire de tafiole. Mais bref, ils font pas semblant de rigoler. J'y crois pas, c'est un rêve. Je me pince le bras, des fois que. Mais non, ils sont toujours là, mes deux guignols, à déconner. Choquée, je passe une main perfusée dans mes cheveux emmêlés, et mes doigts frôlent le tissu de mon coussin. Bah voilà. Je l'attrape, et avec la rapidité de l'aigle, l'abat sur la tête de Sidney, qui tentait de me faire croire qu'il ne trouvait pas la situation risible, avant de le balancer à la gueule de Noé. Dans le même mouvement, une violente douleur me déchirent les côtes, et je me plie en deux, les larmes aux yeux. Et j'ai un rire hystérique qui me chatouille la gorge. Non, pas moyen. Je peux pas m'abaisser à rire avec eux.

« J'vous déteste, tout les deux ! »

Et si, je peux pas m'empêcher de joindre mon rire de dingue aux leurs.

Regard en biais vers Noé. Un sourire en coin s'affiche sur mes lèvres tandis que mes joues pouffent, retenant une seconde fois un rire gênant. Coussin sur la figure. Arme plus terrible qu'elle semble l'être. C'est fou comme parfois les filles peuvent s'avérer étonnantes, surtout les rousses dans ce cas de figure. Perfusée, elle trouve tout de même le moyen de nous abattre. Inventive la Tabbie. J'observe la parfaite trajectoire du coussin blanc : direction Noé. Elle vise bien en plus. Je hoche la tête de haut en bas, comme pour dire : « Bien jouée, j'admire ton lancé. » Nervosité quand tu nous tiens. Tabbie se plie en deux, réaction, je saute de ma chaise.

- Te fais pas mal quand même.

Ouais c'est moche, une tentative d'assassinat contre deux timbrés ne devrait guère causer autant de dégâts. « J'vous déteste, tout les deux ! »

- Elle est mignonne.

Dis-je avec un sourire exagérément idiot sur la gueule. Enfin, cédant à la tentation, elle éclate de rire d'une façon presque alarmante, hystérique, dingue. J'aiguise une risette en coin, rassuré. Avec un peu de malchance : les infirmières appellent l'HP le plus proche. Ça doit pas rire souvent par ici ; nous sommes des créatures irrattrapables.