les mains dans les poches, tard mais à part mes poings j'ai rien que des joints dans mes poches.
les miettes d'un ancien monde, le crouton séché d'un idéal qui n'est plus. mes rêves écrasés contre le tissu. baisé par le temps, toutes mes envies crèvent au rythme de l'univers qui s'épuise. je vomis l'immobilité stupide de ces fausses révolutions, je gratte les murs pour m'enfuir, lézarde les routes pour pas crever d'ennui, un putain d'goût amer qui brûle la langue quand ça va plus et que mon bateau ivre tangue. ya trop d'ressac quand j'vide mon sac.
ton frère en combi léopard. il est mal il est mal il est mal.

T'as rien compris. Tu voulais te battre – avec une épée en mousse. Crier – avec du coton dans la gorge. Tu voulais être malheureuse et porter ta haine comme un flambeau – mais y'a rien de laid dans ta vie. Ta vie-tableau aux couleurs pastel ternes, aux goûtes d'huile grise qui glissent contre la surface lisse, tu la caches au fond de ton sac, tu ne l'exposes pas ne la racontes pas. Elle ne crie pas. Muette devant la platitude de l'univers qui t'entoure. Sous ton bonnet il y a des mots qui clashent et des phrases qui cassent, sous tes pompes y'a des pas de géant que tu ne fais pas. Dans ton passé rêvé il y a un singe furieux qui brandit un bâton de bois vers le ciel. Tes rêves sont des idéaux, ton idéal un songe – tu es un être qui ne sait pas être. Alors t'existes, t'existes comme tu peux, en vivant tout et rien à toute vitesse, en appuyant sur l'accélérateur que Mari t'as cédé pendant qu'il roule son spliff. La vitesse t'encourage à profiter de cet air qui te pénètre, te force à prendre conscience que tu vis bel et bien – mais le coeur n'y est pas. Tu vis avec tes pieds, tu marches seule et tu cours sans but, tes semelles noires frottent les pavés des ruelles où rien ne se passe, des ruelles que tu voudrais sombres et remplies de putes et de mecs à l'affut, mais qui restent impitoyablement vides de toi. Tu traverses Derby sans que Derby te voie. Prend de la vitesse, Khaula Heinsman, pour rattraper l'impossible.

Shaun a les yeux explosés, les pupilles dilatées, il sert plus à rien, tire sur ses bretelles, étend ses jambes interminables contre le sol et caresse les cheveux lisses de Khaul, en dessous de son nombril. La tête en arrière, il repose sa nuque contre le canapé et soupire de plaisir, sursaute légèrement lorsque le piercing de métal qui trône sur la langue de Khaul frôle un point sensible. Il écoute sa respiration, le bruit imperceptible de ses ongles contre sa chair, il se demande s'il serait mieux ailleurs. Ailleurs, oui, ailleurs mais pas sans Khaul. Le bout de sa langue glisse sur la pointe ultrasensible de son gland, méat urétral tendu au max, il gémit et se barre là bas plus haut, au-dessus des nuages et sous l'univers, loin du royaume des Cieux qui ne lui est jamais apparu. Elle accélère ses vas-et-viens, l'avale en entier, lui et tout son être, dans sa gorge chaude et rassurante, il plane. Ses ongles crissent contre ses cuisses, il se redresse d'un coup, bouche ouverte, choqué, baisse le regard sur elle – elle s'occupe de lui, elle embrasse sa queue comme si c'était la seule chose qui compte, elle l'aime putain, elle l'aime, ça le fait jouir. Il la remplit de lui, il la gonfle de son plaisir, il l'aime aussi. Khaula parcours ses jambes de baisers, dépose ses lèvres contre son ventre, rentre sa langue dans son nombril, cajole les creux de son cou. Ses doigts s'entremêlent dans les siens. « Si on partait. » Shaun ne pose plus la question depuis longtemps. C'est devenu sa phrase préférée, son poème, son obsession. Jamais Shaun ne dira « on part ». Le conditionnel les retient tous les deux enchainés à Derby comme des taulards – c'est quand même triste de ne pas pouvoir se faire tailler une pipe dans un décor plus coloré. Moins pluvieux. Plus chaud. Aux couleurs inconnues. De prendre enfin un risque pendant l'orgasme. De s'approcher de la mort. De s'aimer parce qu'on n'a plus le choix. Khaul plonge ses yeux noirs dans les siens, elle ne sourit pas. Elle sait. On ne répond pas à des « si ». Et si le si n'est plus là, est-ce que Khaul le suivra? Elle allume son joint, tire un coup, avale la fumée, le lui tend. La moto attend, sur le trottoir, qu'ils grimpent dessus, lui devant, elle derrière, lui sans casque, qu'ils aillent trop vite, qu'ils dépassent la peur qui n'existe pas, qui ne sait pas les suivre, qu'ils s'allongent sur les toits d'un vieil immeuble désaffecté, fassent l'amour sans capote dans l'aube blanche du présent sans lendemain. Leur chemin à deux.est infini et plat ; c'est le néant qui rythme leurs pas.