" Si le tueur à gages est impitoyable, c'est parce qu'il a conscience de cette profonde vérité :
que ni son corps, ni son esprit ne lui appartiennent. "

Un pas. Deux pas. Trois pas. Pieds nus, Gill sautait innocemment dans les flaques d'eaux. Guidée par des petites marres, sans vie, elle suivait le chemin tracé par la pluie, s'enfonçant peu à peu dans la ville de Derby. Éclaboussant les passants, salissant sa robe blanche, la femme errante était de sortie. The ghost. Le fantôme. La gente, autour d'elle, semblait contrariée, frustrée, choquée. Mais, seul sur terre, invisible aux yeux du monde, Gill continuait sa paisible promenade. De toute évidence, nous préférions tous la voir dans cette attitude inoffensive que dans ses habituels excès de violence. Alors, un mendiant attira son attention. Il avait la mine grave et fade, et ses mains, comme possédés, frappés son tamtam sans se lasser. Oubliant son activité, comme une enfant, Gill s'approcha de l'homme et se mit à danser. Manquant de glisser sur les pavés mouillés, trébuchant dans son jupon, bloquant la circulation. Très vite, les klaxons et les contestations des passants contrariés vinrent s'ajouter à la musique. Mais joueuse, Gill continuait sa danse de l'enfer, accompagnée d'un sourire moqueur. Ses yeux chahuteurs cherchaient le regard des gens les plus énervés. Seulement, son amusement n'était pas partagé par le mendiant, qui espérait sans doute soutirer quelques pièces en arrêtant cet embouteillage. La musique se stoppa. Gill devint aussi raide qu'une barre de fer. Vexée, elle cracha dans la casquette du mendiant. La même casquette qui servait de récipient pour les dons des gens civilisés. Puis elle reprit sa route. Quelle route ? Personne ne le savait. Gill observa rapidement les alentours. Elle-même ne savait pas où elle était. Elle aurait pu être paniquée, mais ce ne fut pas le cas. Il lui était déjà arrivé, en se perdant, de passer une nuit à la rue. Avec obstination, elle continuait toujours tout droit, traçant son chemin.

Puis, un éclair de génie traversa le regard de Gill. Elle releva la tête, observant le bâtiment qui se situait devant elle. C'était la résidence d'une salle de jeux d'arcades. Elle n'était naturellement pas très geek, mais elle connaissait en revanche une personne qui l’était. Gloomy. Gill savait qu'il passait le plus clair de son temps ici. Elle devint soudainement soucieuse, comme partie dans une réflexion très complexe. Elle ouvrit son sac, en sortit des spartiates noirs, et les mis à ses pieds boueux. Elle savait que sans chaussures, on ne la laisserait pas entrer dans la résidence. Habituellement non soucieuse de déroger à la règle, cette fois-ci, elle avait choisi de ne pas se faire virer: simplement pour passer plus de temps avec son amis Gloomy. En réalité, Gill jouait un double jeu avec lui. Elle avait compris par son comportement qu'il avait souffert d'une personne comme elle, d'une personne attirée par la douleur. Il était donc difficile pour elle de ne pas jouer des faiblesses de Gloomy, qu'il lui avait si facilement dévoilé. Pourtant, Gloomy n'était pas totalement naïf, il avait compris une partie du manège de Gill, et pour se préserver, avait fait le choix de l'éviter ces derniers temps. Mais pour qu'une rupture soit signée, tout le monde sait que les deux personnes doivent être d'accord. Et en revanche, Gill n'avait pas l'intention de laisser cette brebis s'égarer si facilement de son troupeau. Et voilà, en quelques instants, vous avez pu observer la métamorphose de Gill: passant d'un être inoffensif à une personne tactique et impitoyable.

Alors, entrant dans cette aire de jeu, Gill découvrit une sorte de monde parallèle. Des millions de couleurs vinrent en même temps lui agresser les yeux, tandis que le bruit des manettes et des jeux semblaient formés un concert de bruits métalliques. Observatrice, elle détailla toute la pièce. Le salon n’était pas très grand mais proposait un grand choix de loisir. On pouvait distinguer facilement les loosers des winners. Certaines personnes semblaient ne pas avoir quitté leur machine depuis des lustres : surexcités, susceptibles, violent… appuyant comme des bourreaux sur des boutons. Tout un univers inconnu à Gillian. Cette dernière, avança, timidement, comme un animal sauvage se retrouvant dans une ville mondaine. Ses pieds vinrent rapidement s’entremêler dans les fils d’un jeu, qui, ce dernier, s’éteignit aussitôt. Alors un cri strident retentit dans toute la pièce. «Ahhhhhhhhhhhhhhhhh ! J’avais presque battu le record. Que sait-il passé ?» Dit un jeune homme énervé. Il menaçait de s’effondrer à chaque instant. Ses yeux étaient rouges et cernés. Il chercha à comprendre, près à massacrer le coupable et très vite, retrouva la piste de Gill. Dans un premier temps, il la dévisagea : elle et son air innocent. Puis il lui hurla dessus : «Mais qu’est ce qu’elle fou là, cette conne ? T’as perdu ta maman ?». Gillian jubila de l’intérieur. Rien de mieux que cette anecdote pour attirer l’attention des joueurs, et plus particulièrement de Gloomy. Elle se félicita de réussir, désormais, à faire souffrir les autres contre sa volonté initiale. Mais surtout, elle ne resta pas insensible aux paroles du geek. S’attaquer à Gill ? Mauvaise idée… Elle voulut dans un premier temps le frapper, mais elle se retenue. Il ne fallait pas qu’elle se fasse virer et encore moins que Gloomy la suspecte de violence ou de sadisme. : «Non.» répondit-elle, dans l’économie. Elle prit le jeune homme par le bras, se cachant derrière des jeux, comme si elle voulait discuter avec lui intimement. Puis, elle enleva sa veste, dévoilant un énorme bleu sur son bras. «Aie. Pourquoi tu m’as frappé ?». Il n’en fallu pas plus pour qu’il se fasse virer du salon, et interdiction d’y remettre les pieds. Personne ne témoigna, car personne ne vit rien, mais tout le monde entendit.
Gardant son visage de victime, elle s’essaya sur une chaise. Tout le monde aurait voulu la consoler et poliment, elle répondit qu'elle allait bien d'un "sa va, sa va, vous inquiétez pas" dit avec tant d'innocence, qu'il était impossible de l'accuser de quoi que ce soit. Elle entrevit Gloomy au loin. Du moins sa silhouette. Mais préférant qu'il vienne à elle, elle resta assise à attendre la suite des événements. Elle espérait qu'il vienne à elle. Ce n'était pas joué d'avance. Mais de la suite dans les idées: s'il ne venait pas à elle, elle irait à lui.

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