Des doses, un briquet qui marche plus, deux pièces de un cent, un bout de tabac, trois cure-dents, une barrette de shit.
Des papiers froissés, des doses, trois pièces de un sous, des élastiques colorés, des bombes de peinture, un autographe d'un inconnu.
Des doses, des feuilles, du tabac en vrac, de l'herbe en vrac, une pipe brisée jamais réparée, des pilules à moitié consommée, deux ou trois vieux slips, de la poussière, des araignées, des morceaux de nourriture qu'il fut incapable de terminer...

Gamin rêveur, t'as cru que t'y arriverais, pas vrai? T'as cru que ta vie serait pareille à celle de l'enfoiré qui se tape Cendrillon. Un joli château, de la tune en masse, une meuf splendide, des bonnes à souhait, aucun problème, un conte de fée, quoi. Ouais, depuis toujours, t'as cru que la réalité c'était comme la fiction, si on voulait. T'as cru que t'étais un peu comme le maître du monde, de ton monde, comme si tout était malléable, comme si ton avenir ne dépendait que de ta simple volonté. Alors t'as laissé faire. Tout. T'as tout laissé faire, depuis que t'es gamin, t'as été spectateur, parce que c'était plus simple d'attendre un miracle que d'y participer, tu saisis? Ouais, alors à quoi bon réagir quand ta mère est partit, comme ça? T'sais, t'avais que sept ans, en plus, donc qu'est-ce que t'aurais pu faire? Ta mère, elle t'as juste regardé avec ses yeux coupables, assaisonnés au « t'as gâché ma vie petit con ». Et toi, tu l'as regardé partir, blotti comme tu étais contre le frigo, en boule, dans la nuit, sans faire un bruit pour pas réveiller papa.

Papa, c'était toujours mieux quand il dormait, ouais. Bah c'est sûr. Mais en même temps c'était pas sa faute s'il était comme ça, violent et tout, il avait pas eu une vie facile. Bosser à l'usine pendant plus de cinquante ans, s'abimer le dos, les mains, les jambes. Finir boucler dans son lit à se déplacer en grommelant... Forcément, ça laisse des séquelles, gamin, tu peux pas éviter ça, tu peux pas le reprocher à ton père. Il t'as élevé, quand même, non? Enfin un peu, quoi. T'avais un toit, qui allait avec les coups. Puis t'avais aussi de la bouffe, de temps en temps, quand la voisine venait. Ça, c'était au début... Parce qu'après, quand papa a disparu aussi, elle venait plus, la voisine. Puis de toutes façons, toi, ils t'ont balancé dans ce pensionnat, donc bon.

Putain, tu sais, t'avais treize ans et déjà, tu voulais fuir de cet orphelinat de mes deux. Mais t'étais trop flemmard, mon pote, donc tu passais simplement tes journées à te planquer des nonnes. Tiens, tu t'souviens de ce type, là, comment qu'y s'appelait... Ouais, Sullivan, c'est ça. Le type qui t'as un peu sorti de toute cette merde avant de te lâcher, comme les autres. T'allais fumer des cigarettes à l'abri des regards avec lui, et tu te sentais comme un rebelle libre et révolté, le genre poète maudit incompris. Mais putain, t'as jamais été un seul de ces gars-là, t'es même pas capable d'aligner deux mots sans bouffer une syllabe ou sans faire de faute. Et alors, t'façon tu t'en fous. T'es déjà maudit, le poète, t'en as rien à foutre.

C'est à quel âge, déjà, que t'as bougé de l'orphelinat à la con? Mmh... Ouais, t'avais seize ans, j'pense. Déjà, t'haïssais l'Écosse, c'est pour ça que t'as vite été jusqu'à Derby: tout est moins minable que l'Écosse et ses enculés d'habitants. T'façon, tu pouvais plus vivre là-bas. C'est fou comme, quand t'as besoin de quelqu'un, tu passes inaperçu, mais dès lors où tu voudrais te fondre dans la masse, t'as même des conards de flics qui te traquent. Puis Derby, c'est pas vraiment mieux en fin de compte. T'es toujours seul comme un chien, et t'as toujours la dalle, ça, ça change pas.

Bon, y'a la drogue, mais à Édimbourg aussi, ça existait. Mais t'étais jeune encore, puis j'crois que t'y croyais encore, nan? Dis-moi, gamin, j'suis sûr que t'y crois encore à ces conneries de contes de fées avec princes et princesses, pas vrai? Tu rêves encore, gamin? La drogue t'as pas pris ton subconscient, dis-moi? Putain, t'es qu'un enfoiré de junkie même pas capable de répondre à une question que tu te poses à toi-même, tout juste bon à servir de pâté pour les chats affamés du quartier. Tu sais que tu finiras comme ça, en plus. Parce que t'as pas d'échappatoire. Parce que dès lors que t'es sorti du sexe de ta mère, t'étais déjà foutu. T'étais déjà drogué. Ta mère sous Valium en permanence, ton père, buvard d'alcool. Quand tes propres gênes sont pas capables de se former tellement ils sont défoncés, c'est qu't'es pas sain non plus.

Ouais, mon gars, tu fonces droit vers le mur et tu t'en fous. En fait t'accélères, parce qu'il y a plus que ça à faire, nan? Soit t'arrêtes tout, mais t'en es incapable, et t'as la flemme, soit tu continues et t'augmentes les doses, parce que c'est moins drôle, sinon. Au pire, tu pourrais te contenter d'une seule drogue, gobes tes médocs un peu, au lieu de te vriller la santé sans raison légale. Arrêtes ta précieuse héro, et ta précieuse H-Space, puis contentes-toi de la méthamphétamine et de la dopamine qu'ils te filent sous ordonnance, ça coutera moins cher à ta putain d'assurance chômage, puis tu pourras surement te détruire légèrement moins. Ouais, non, vas-y ta gueule, gamin, et continues à mourir lentement. J'pense que de toutes façons, vu le monde taré dans lequel t'as atterrit, vaut mieux le quitter au plus vite.