Ma main s’abat avec fracas sur le réveil, l'envoyant valdinguer au sol. L'énervant bip-bip cesse aussitôt et je ramène mon bras sous la chaleur bienfaisante de mon épaisse couette. J'ai un bâillement et me roule en boule, prenant soin de ne laisser à l'air libre aucune partie de mon corps. Je rabat l'édredon sur moi, de manière à ce qu'il ne reste qu'une touffe de cheveux blond dépassant, éparpillés sur l'oreiller. Je suis à deux doigts de me rendormir qu'une autre sonnerie vient me déranger. Dans le gaz, je tâtonne du plat de la main sur ma table de chevet, espérant faire taire mon réveil, avant de me souvenir que je l'ai envoyer par terre. Je fourre alors la main sous mon oreiller et en extirpe mon portable, où s'affiche le numéro de mon meilleur ami. Je décroche mais reste silencieuse, seul le bruit de ma respiration doit lui être audible. « Pooh ? Little Pooh, t'est debout ? Allez, dis moi que t'est debout, j'ai besoin de toi, là ! Enfin non, c'est pas vrai, et tu le sais. Mais debout, tu vas être en retard ! » Il a raccroché. Voilà. Ni bonjour ni au revoir, il ne se présente même pas. De toutes façons, il sait que j'ai son affreuse tête qui s'affiche, son numéro et son nom en dessous, quand il m'appelle. J'ai l'impression d'être revenue à l'orphelinat, quand Adam venait me réveiller pour m'éviter d'être en retard pour le petit déj', ou s'assurer que les deux horribles siamoises qui nous servait de mère de substitution ne pourrait pas me punir pour telle ou telle connerie. Dix ans après, on en est toujours au même point. Il passe son temps à veiller sur moi alors que je le laisse allégrement se foutre en l'air, me disant à chaque fois que je le voyais sortir son arsenal que peut-être je serais débarrassée de lui. Je soupire. Maintenant, je suis parfaitement réveillée et je n'ai plus qu'à me lever. Je jette un coup d'oeil par la fenêtre, observant le coucher de soleil. Ou le lever, on sait jamais. Adam serait bien capable de me réveiller à l'aube juste pour m'emmerder, en sachant mieux que quiconque que je viens de me coucher. C'est l'un des nombreux inconvénients de mon job. Impossible d'avoir un rythme de vie décent. Je me lève quand tout le monde se couche et me couche quand tout le monde se lève. Un vrai vampire. Il est aussi hors de question d'avoir une vie sociale digne de ce nom, et même une vie tout court. La musique me poursuit même durant mon sommeil et les cernes se voient de plus en plus. Quand à de potentiels amis... Je ne peux me permettre de fréquenter que les nocturnes, comme Adam. Nouveau soupir. Allez, faut y aller... Direction la salle de bain, où j'achève de me sortir du brouillard sous une douche glacée. [...] Devant le Void, je retrouve Adam et Agnès, en grande discussion. Je me dépêcher de saluer Adam et de crocheter mon bras à celui d'Agnès. La brune pose un baiser sur ma joue et continue de parler avec Adam. Les yeux bleus de ce dernier ne cesse de papillonner de nos bras noués à mon visage et je l'ignore. Machinalement, je viens jouer avec les cheveux de la jeune femme et elle s'esquive en riant, me rappelant qu'elle n'aime pas qu'on touche à sa tignasse. Je me rembrunie et me détache d'elle pour descendre dans les sous-sol. Agnès m'emboîte le pas en saluant Adam et me rattrape. « Qu'est ce qui se passe, avec Adam ? » Elle use de sa voix la plus innocente pour me faire avouer, la garce. Je ferme les yeux et soupire, tandis qu'elle me glisse une cigarette entre les doigts. Je sors mon briquet et lui tend. Encore un autre rituel. Elle fournit les clopes, moi le briquet. « Sa fausse mélancholie me sort par les trous de nez, je vomis sur sa tendance au sadisme surjouée et je préfère être sourde qu'entendre ses plaintes incessantes sur le monde qui l'entoure. Voilà ce qui se passe. » Elle me rend mon briquet et j'enflamme ma cigarette, soufflant par le nez la fumée grisâtre. « Je comprends pas, c'est ton meilleur ami, non ? Et puis c'est un bon coup, d'après ce que j'ai entendu... » Elle affiche l'air coquin de la nana qui a recueilli les confidences d'une amie sur sa vie sexuelle. La mienne, de vie sexuelle. « Ouais, ouais, je sais. Mais il me tape sur les nerfs, il a pas compris qu'on avait plus huit ans et qu'on était plus ensemble. » Et puis merde, qu'est ce que ça peut lui faire qu'Adam soit un bon coup ? Elle est lesbienne, elle me rend folle, dans le bon sens, alors que mon meilleur ami me rend suicidaire. Je l'évite, il me court après, et moi c'est après Agnès que je cours. Nous trois, c'est Pacman revisité !