♦ Appartement de Tabbie, Sidney & Noé
♦ Tabitha Cartwirght & Noé Bomer
♦ Noé, tranquillement planté dans l'appartement à ne rien faire, Tabbie arrivant dans peu de temps.

Tranquillement assis sur le canapé, à zapper de chaînes en chaînes, je me fixe finalement sur National Geographic. Un reportage sur les grizzli. Shit, ça me fait tout de suite penser à Ash, je sais pas pourquoi. Je laisse échapper un petit rire idiot et attrape mon paquet de tabac et de feuille pour me rouler une clope. Ouais, j'me fais vraiment chier, je tourne en rond même.

J'arrive à l'appart, au fond de ma poche, chiffonnée, une putain de feuille de papier. Avec des putains de résultats imprimés dessus, une putain de nouvelle qui me trotte dans la tête depuis que j'ai quitté l'hôpital. Faut être conne pour prendre une gerbe persistante pour une simple gastro'. Ou alors faut s'appeler Tabitha. Putain de bordel de Dieu. Comment j'vais annoncer ça à mon Noé ? Il va pas comprendre, comme je le connais. Il va pas réaliser, ou alors, il va lui falloir 15 ans pour assimiler. 15 ans, au sens littéral, bien sûr. J'vois le tableau. 15 years later, Noé, Tabbie et le gosse, on fête son anniversaire, et Noé, grand idiot : "uh, c'est vraiment mon fils ?". Retour au présent, je reste figée devant la porte. J'entends la télé, le jingle de National Geographic. Je pose une main sur le bois, appuie mon front contre la porte, les larmes me piquant déjà les yeux. Pauvre conne. Pauvre conne incapable de retenir ses pleurs, incapable de protéger ceux qu'elle aiment, et elle-même. Infoutue de se protéger. Mes doigts se recroquevillent sur la porte, se crispent. J'ai pas envie de rentrer, pas envie de briser son monde de gamin avec une nouvelle d'adulte. Je me retourne, m'adosse à notre porte d'entrée. Les larmes coulent, je cherche mon paquet de clopes dans ma poche, avant de me souvenir que je l'ai jeté en sortant de l'hôpital. Pauvre conne. Des bruits de pas, dans l'appart', la porte qui s'ouvre, moi qui tombe à la renverse, dans un océan de larmes et de cheveux roux. Noé, au secours, je me noie...

En fait les ours, à part hiberner et secouer des arbres, c'est bon à rien. Ça m'ennuie un peu maintenant que j'ai roulé ma clope, dans un cône absolument parfait. Je suis un dieu du roulage, et c'est sûrement mon principal talent... même si ça sert pas à grand chose.
Des bruits dans le couloir, avec ces marches qui grinçaient tout le temps. Je reconnais les pas de Tabbie, elle avait une façon de marcher bien à elle, que j'arrivais à reconnaître de loin. Je me lève, coupe le son, et va ouvrir la porte. Tabbie tombe à la renverse et je me penche vers elle, étonné.

« Et béh, t'es bourrée ? »

Aïe. J'crois que je me suis ouvert le crâne, ou une connerie dans le genre. J'ai trop mal. Noé, emmène moi sur ton arche, vers l'hôpital, qu'ils me débarrassent de mon mal de tête et de ce truc dans mon ventre, discrétos, comme ça, j'ai pas besoin de t'en parler.

« C'est tout comme, dude. »

Ma voix est tremblotante, je la reconnais à peine. C'est pas moi qui parle, c'est pas possible. Je me redresse, m'adosse au chambranle et ramène mes genoux contre ma poitrine. Je tend une main et agrippe le t-shirt de Noé, l'attirant contre moi. Sans comprendre, il s'exécute et m'enlace. Je m'effondre complétement dans ses bras. C'est pas possible, ça peut pas nous arriver à nous. J'pourrais jamais lui dire.

Tabbie finit par se redresser, enfin plutôt s'adosser au mur, ramenant ses jambes contre elle. Je la connais par cœur, comme si je l'avais faite même, et je sais qu'elle ne va pas bien. Ouais vous allez me dire qu'elle venait de se casser la gueule, et que les yeux bordés de larme, la voix tremblotante et tout le reste ne trompe personne … Enfin on aurait pu penser qu'elle c'était fait plaquer, ou qu'elle avait eu une sale note à ses partiels … Non, moi je savais qu'elle allait vraiment mal cette fois là, je le sentais. Je pouvais écrire le dictionnaire de la Tabbie.
Je la laisse m'attirer vers elle et referme mes bras autours de son corps tremblotant.

« Qu'est ce qui se passe baby girl ? »

« Qu'est ce qui se passe baby girl ? »

Oh, god. Je fond encore plus en larmes dans les bras de mon meilleur ami. De quoi j'ai l'air, d'une éponge qu'on presse pour la désengorger ? Ouais, un truc dans ce genre. Je sais pas quoi lui répondre. Lui dire de but en blanc que je suis enceinte, ça le flinguerai, mon Noé. J'peux pas lâcher ça comme ça. Il me faut un truc pour me donner le courage de le tuer.

« Ça va, t'inquiètes. »

J'esquisse un sourire que j'espère sincère, mais me love plus encore dans ses bras. J'suis trop bien, je rêve de m'endormir contre lui. Mais faut pas, y'a d'autre chose à faire, avant. Comme prendre une cuite.

« Tu m'aides à me relever ? »

Et après, direction le mini-bar tout pourri installé par Sidney.

On reste serré l'un contre l'autre, à attendre qu'elle décide de parler. Tabbie finit par me dire que tout va bien, comme si elle pensait que j'allais gober ça. Je suis peut être tout le temps à côté de la plaque mais là je me rends bien compte du truc. Entre s'en rendre compte et comprendre, il y a aussi une nuance assez conséquente.
Je finis par répondre à son sourire par un regard doux, et la lâche quand elle me demande de l'aider, m'exécutant sur le champ. La rouquine se dirige ensuite vers le mini bar et j'ai vite fait de l'attraper par la main pour la faire retourner, posant mes deux mains sur ses joues.

« Hey, me fait pas croire que tout va bien, tu sais que je lis en toi comme un livre ouvert. »

Je sais pas quoi lui dire, pas quoi lui répondre. C'est tellement con, comme situation, que je sais pas quoi en penser. Enfin, si, j'en pense juste que c'est une putain de situation de merde dont je sais pas comment me sortir. Je ferme les yeux, me voilà debout, mes pas me mènent au bar, Noé sur mes talons. Avant que j'ai pu esquisser un geste, il me force à lui faire face. Non, tout mais pas ça. Ne m'oblige pas à regarder ton sourire heureux, tes yeux remplis de tendresse.

« Hey, me fait pas croire que tout va bien, tu sais que je lis en toi comme un livre ouvert. »

Putain de merde. Ça va pas être simple. J'attrape une bouteille, peut importe ce que c'est, l'ouvre et porte le goulot à mes lèvres. Une fois, deux fois. Je repose la bouteille et me tourne vers mon meilleur ami.


« Noé, bois ça, et après, j'aurai un truc à te dire. »

Je pousse la bouteille vers lui, sérieuse. Enfin, aussi sérieuse qu'on puisse paraître avec des larmes continuant de couler toutes seules et un air de fin du monde gravé sur la gueule.

Elle commence à m'inquiéter. Ouais, elle me faisait vraiment flipper Tabbie, avec ses yeux rougis, son teint plus blanc que d'habitude. On aurait dit que le monde venait de s'écrouler sur ses épaules, et qu'elle faiblissait sous son poids. Les pires des scénarios me traversent la tête quand elle me tend la bouteille. Elle avec qui je déconne tout le temps, qu'est toujours là à me raconter de la merde, nous amenant à des dialogues absolument absurdes qu'on était les deux seuls à pouvoir comprendre – ce qui est vite dit -.
Je porte la bouteille à mes lèvres, en avale une gorgée avant de m'asseoir sur un tabouret. Fait rare : je suis sérieux. Autre fait : j'ai perdu mon sourire de gosse, mon air d'enfant attardé. Quand la situation change, la personne change avec. Je reste silencieux, à attendre ce qu'elle pourrait me dire de si important.

En fait, j'suis une tueuse à gage, ou un truc dans le genre. Comme la turque dans ce bouquin de Grangé, un auteur français complétement taré. La nana, elle était tueuse à gage, dans son pays, et passeuse d'opium. Après un choc violent, elle perd la mémoire, mais vers la fin du bouquin elle la retrouve et se souvient qu'elle doit tuer quelqu'un. Voilà, j'étais Selma Gobal, et je venais tuer Noé Bomer.
Voir Noé sérieux, ouais, c'est un choc. Et ça m'aide pas à lui exposer le problème, contrairement à ce que je pensais. Je soupire et sors la feuille de résultats du fin fond de ma poche. Je la pose sur le comptoir, la défroissant avec mes mains. Je la pousse vers Noé, du bout du doigt, comme si elle me brûlait.

Bon, vite, qu'elle crache le morceau, je tiens plus. Je vais même me taper une crise d'angoisse si jamais elle décide de me faire tourner en rond plus longtemps. Deux secondes, je me demande si ce n'est pas ce qu'elle tente de faire : me rendre taré. Ça serait pas sympa de sa part vu l'état dans lequel je suis déjà. J'avale une nouvelle gorgée d'alcool, histoire de patienter, et elle fait glisser un papier vers moi. Gosh qu'est ce que c'est ? Une lettre du tribunal pour lui dire qu'elle allait en taule ? Une lettre du médecin légiste pour nous dire que Sidney avait été retrouvé mort dans un lac ? Le concierge qui nous retirait le bail ? Je finis par déplier le papier, le parcourant du regard et … des prises de sang ? Je lui ai pas refilé le sida au moins ? Non, on n'avait pas couché ensemble depuis quelques temps déjà. Faudrait peut être que je pense à la mettre au courant d'ailleurs.

« Bébé, tu sais que les carences en magnésium, ça se soigne facilement ? »

L'envie de le gifler, là, maintenant. Soit il le fait exprès, mais j'y crois pas trop, soit il a rien compris, et c'est plus plausible, soit il veut vraiment pas chercher à comprendre. Putain, c'que j'aimerais que ce soit qu'une carence à la con, le genre soignable en deux secondes. Je récupère la feuille, joue avec, silencieuse, la roulant en boule, la dépliant, et recommencant.


« Si c'était que ça... Putain, Noé, fais un effort, m'oblige pas à le dire. »

J'lui emprunte les yeux de cocker qu'il me fait quand y'a plus de nutella et qu'il a la flemme d'aller en chercher lui même, mais je crois que mes pleurs ajoutent une dimension autrement plus triste qu'un simple pot de pâte à tartiner vide.

En fait, la feuille, je l'avais lue en biais. J'y avais jeté un coup d'oeil pour seulement lire les caractères en gras. Je sais pas pourquoi, mais elle m'inspirait rien cette ordonnance, tous ces chiffres à côté de termes médicaux. Les hôpitaux me faisaient un peu flipper par moment, alors me concentrer tel le médecin dessus, très peu pour moi. Je préférais qu'elle me le dise de vive voix plutôt que de me forcer à lire des petits caractères.

Quoi faire un effort ? J'avais bien vu qu'elle manquait de sel et toutes ces conneries. En même temps, avec le physique qu'elle avait, la ligne parfaite de son corps sans aucune trace de graisse superflue, elle mangeait pas des ailes de poulet bien grasses tous les jours Tabbie. J'avais même cri qu'elle était anorexique une fois. Enfin pour lui faire plaisir, j'attrape une nouvelle fois la feuille chiffonnée, la déplie du revers de la main et commence une analyse du diagnostique. Une phrase me fait soudain relever la tête.

« Je vais être tonton ? »

Faut avouer, Noé, je l'avais toujours un peu pris pour un taré, un vrai de vrai. Même si j'adorais ce côté déglingué de sa personnalité, parfois, c'était usant. Et là, oui, c'était lourd. J'hésite furieusement entre lui faire bouffer la bouteille par le nez ou me casser. Finalement, je respire un bon coup. Allez, ma grande, une fois que tu l'auras dit, ça ira beaucoup mieux, tu verras.

« C'est pas tout à fait ça. »

Grande inspiration, du genre "j'vais avaler tout l'ocygène dispo' sur terre et vous allez tous crever".


« J'suis enceinte et je sais pas de qui.»

Dit vite, très vite, ça passe mieux.

Tabbie enceinte … si je l'avais imaginé ce coup là. J'avais envisagé plein de possibilité, m'étais fait des scénarios impossibles pendant les quelques minutes qui c'était écoulées pour finalement réaliser. Enfin réaliser, c'était un grand mot. Un petit bébé dans l'appartement, ça mettrait un peu de ie tiens, même si c'était un peu Bagdad tous les jours ici. Ouais, ça serait marrant de faire un peu de baby sitting, de lui donner à manger et de jouer avec en essayant d'imiter son langage pas très développé. J'pense pas à la suite du coup, pas à lui demander qui était le père. Mais elle ôte vite le doute sur cette question, en avouant qu'elle ne savait absolument pas qui l'avait mis enceinte. Tabbie-grosse-traînée. Aussi, quand on couchait à droite à gauche, c'était pas étonnant … Ça avait du bon d'être un mec ; je risquais pas de me retrouver enceinte d'Ash. Un bébé moitié russe … ça ferait un beau mélange. J'lui achèterai un chien en peluche.

« Ben t'as qu'à rappeler tous tes coups d'un soir ! »

Logique imparable.

Aujourd'hui, c'est clair, Noé est dingue, complétement marteau. Je savais que les médocs de sa mère lui ferait pas autant de bien qu'elle le disait. Elle lui avait complétement grillé les neurones, sa vieille. Mon Noé chéri, il réalisait pas, il comprenait pas. Ou alors il voulait pas, et c'était un bel enfoiré de me faire enrager comme ça. J'essuie les larmes sur mes joues d'un revers de main rageur, récupère feuille et bouteille avant d'avaler une rasade du liquide alcoolisé. Je lui assène une claque sur le crâne quand il me suggère de rappeler tout mes coups d'un soir. Ça va être rapide, contrairement à ce qu'il croit.

« Crétin ! Vous êtes trois. Mais Matt' est mort... Et après, c'est Sidney, ou toi. »

Fallait pas en faire une montagne d'un enfant. Certes elle allait avoir un ventre énorme mais c'était tellement beau les femmes enceintes. Je me voyais déjà lui poser la mains sur le ventre tous les quarts d'heures. Et puis si c'était l'argent qui lui faisait peur, j'avais toujours maman derrière moi pour assurer. Elle avait au moins la qualité de me passer tout le fric que je voulais. Cette fois, j'comprends vraiment pas sa réaction. Fallait voir ça comme un cadeau du ciel.
Tabbie se lève, me donne une claque derrière la tête et m'énumère tous ses prétendants. Enfin tous, au final, il n'y en avait pas tellement. J'aurais pensé qu'elle aurait découpé une page d'annuaire mais finalement non, juste Sidney, Matt et moi. Et puis c'est pas parce que Matt' est maintenant six pieds sous terre qu'il a pas pu lui faire un gosse avant. Sidney … c'était bien son genre aussi. Et moi, ben moi j'aimais certes les enfants, j'aimais aussi Tabbie, mais j'en voulais pas tout de suite. Ou pas du tout d'ailleurs. Je préférais ceux des autres.

« C'est peut être l'immaculée conception ? »

Je hausse les sourcils et lui envoie un sourire, comme si j'avais trouvé l'évidence. La solution au problème. Je finis par taire mon sourire, glissant jusqu'à elle pour décrocher la bouteille de ses mains.

« Donc maintenant tu arrêtes de boire. Tu … vas le garder ? »

On pouvait pas dire que ça m'enchantait, de savoir que dans 8 mois, à tout casser, j'allais me retrouver à jouer les mamans, gouzi gouzi et tout le tralala. Au contraire. Mais fallait l'avouer, j'avais joué avec le feu, et je m'étais brûlé. God, dire que la brûlure fait mal, c'est un putain d'euphémisme. Je sais vraiment pas quoi faire. J'ai encore l'esprit trop occupé par la grande question "mais de qui il est, bordel ?". Noé a une réponse toute trouvée, bien sûr. L'immaculée conception, bah tient.

« Mais bien sûr, j'aurais dû y penser plus tôt. Qu'elle conne. »

Ton sarcastique, pour lui montrer que si lui ça l'éclate, moi ça me fait pas rire du tout. Il s'approche de moi et me retire la bouteille des mains, me signalant au passage que j'ai interdiction d'y retoucher. Et me demandant si j'vais garder le bébé. Merde, mettre un mot sur cet être dans mon ventre, ça le concrétise, ça lui donne une existence. Pile le truc dont j'ai pas besoin.

« J'sais pas. Avoue que tu en rêverais. »

Noé, je l'ai vu baver sur les gosses dans les parcs pour enfants, quand on se promènent en ville, alors oui, j'peux bien dire qu'il aimerait ça, s'occuper d'un gamin.

Je voyais pas non plus les enfants comme des petits chiens quand je me disais que je voulais que Tabbie le garde pour jouer avec lui, m'en occuper, l'éduquer même. Enfin je sais pas vraiment dans quel genre de famille il ou elle allait tomber. Une mère célibataire infoutue de lui dire qui était le géniteur, deux papas : un artiste raté, un drogué. Si c'était moi le vrai papa, il allait en avoir un troisième de substitution, genre beau papa, parce que papa allait forniquer avec d'autres papas plutôt qu'avec des mamans ou maman elle même. Je crois que cette fois, on tient la plus grosse merde de notre palmarès.

« J'sais pas. J'trouve qu'avorter … c'est comme le tuer. »

Je me lève, passe un bras autours de la taille de Tabbie, et mes yeux commencent soudain à briller. Comme si je m'étais pris un spot sur la gueule, ou qu'un type était venu me balancer des paillettes.

« Et imagine le courir partout dans la maison, et essayer de nous parler sans arriver à aligner trois mots. Y a rien de plus chou qu'un bébé ! On manque pas d'argent, et on a l'expérience avec nos parents. On saura ce qu'il ne faut pas faire.»

Je frissonne lorsque Noé parle d'avortement. C'est aussi ce que je pense, mais à côté de ça... A côté de ça, dans ma tête, c'est un massacre sans nom. Je sais plus quoi penser, mes principes volent en éclats, mes idéaux avec. Et puis merde, on rentre pas vraiment dans le moule, on est pas la famille modèle non plus. Noé se traîne j'sais jamais trop où, Sidney, j'en parle pas, et moi, bah... J'sais où je squatte, mais j'connais pas non plus tout le monde, et je serais plus du genre néo-hippie & baba cool que maman poule.

« Je sais, m'en parle pas... »

Noé descend de son perchoir et m'attire contre lui, le regard brillant. Oulà, je sens venir la longue, loongue tirade sur les joies d'être parents.

« Et imagine le courir partout dans la maison, et essayer de nous parler sans arriver à aligner trois mots. Y a rien de plus chou qu'un bébé ! On manque pas d'argent, et on a l'expérience avec nos parents. On saura ce qu'il ne faut pas faire.»

Et bah tient, ça loupe pas. Et en même temps, il a pas tord.

« Justement, la maison... Sid' va péter un cable s'il lui crève toutes ses toiles vierges. Et imagine qu'un jour il bouffe toute ton herbe* ? L'argent, j'veux bien, mais tu te vois aller dire à ta mère "maman chérie, ma meilleure amie attend un gosse, on pense qu'il est de moi, mais on est pas sûr. Alors, mamie, tu nous file de la thune ? »

Je passe sous silence l'expérience avec nos parents, les trucs à pas faire. J'ai trop vu ma mère reproduire le comportement froid de ma grand-mère sur moi pour m'essayer à mon tour à la maternité.

Et s'il était de moi ? Je viens de percuter à l'instant. Moi ? Père ? Je me préfère largement comme beau père ou père de substitution. C'est pas contre Tabbie, loin de là, mais me dire qu'un mini moi va voir le jour me donne des frissons. J'sais pas ... et s'il avait mon caractère en plus du reste ? Le physique, c'est loin de me déranger, et je pense que ses copines de classe penseront la même chose ... Mais j'sais pas. La bipolarité, ça se transmet pas par le sang non ? Je tiens pas à pourrir la vie de mon gosse dès sa conception.
Je finis par lâcher les hanches de Tabbie, pour retourner chercher la bouteille, en avalant une gorgée.

« S'il crève les toiles de Sid, ça sera un cadeau pour la population. Après je vais pas continuer à fumer ici, si il y a un gamin. On dirait pas mais j'ai un tout petit reste de conscience qui traîne dans un coin. Puis ma mère, tu sais bien que pour lui demander des thunes, j'ai juste à prononcé le montant, elle pose pas de question, elle s'intéresse pas à ça. »

Je rigole doucement quand il parle des toiles de Sidney. Allez, lui aussi il a été hypocrite, comme moi, quand l'autre nous présentait ses barbouillages. Lui aussi il les a trouver divin, tout en levant les yeux au ciel. Il a pouffé avec moi devant les créations de Sid', quand celui ci était sorti. Quand à sa conscience...


« Un reste de conscience, tu dis ? Redescends, Noé. T'est capable de revenir gravement malade et te demander si c'est pas la faute aux céréales que tu bouffe le matin qui t'ont foutu en l'air ! »

Et sa mère... Nan, vraiment, j'ai pas envie qu'on aille faire la quête devant sa porte. J'ai trop de dignité pour ça. Et puis si j'le garde, c'est avec mon fric que je veux l'élever, pas celui des autres. J'veux pouvoir dire avec fierté que j'ai réussi à arrêter de jouer pour être une bonne mère, sur le modèle qu'on voit partout.

Encore une gorgée coule entre mes lèvres. Une de plus une de moins, c'est pas ça qui allait me faire quelque chose. Et puis avec la nouvelle que venait m'apporter Tabbie, et qui faisait petit à petit son bout de chemin, il me fallait bien un réconfortant.

« De toute façon, tu feras comme tu veux. »

Je tourne les yeux, tire une chaise vers moi pour m'asseoir et continue à jouer avec la bouteille. Elle avait mon avis, c'était à elle de choisir.

Mh, sympa. Alors quoi, c'est à moi de choisir, de définir la façon dont notre vie à tout les deux allait changer ? De dire si oui ou non, la fête, c'était fini, ou si, au contraire, the show must go on ?C'est pas très fair-play, je suis tétanisée depuis l'annonce de la nouvelle, alors je vois pas comment je peux prendre cette décision.

« Arrête, tu sais que je peux pas décider toute seule. Parce que ça vous implique tout les deux, et j'peux pas ignorer ça. »

Je fais quelques pas et récupère la bouteille. J'avale une gorgée sous son regarde courroucé.

Je ne pouvais pas imposer mes choix à Tabbie. J'pense que c'est déjà assez dur comme ça pour elle pour que je lui impose de le garder. Elle le sait très bien, que ça me ferait plaisir, et que je voyais l'avortement quasi comme un meurtre. Mais encore une fois, je n'étais pas à sa place, ce n'était pas moi qui allait tomber malade les matins, qui allait grossir et devoir porter un bout d'homme dans mon ventre.

« Tu sais ce que j'en pense. Mais si tu le gardes, essaye au moins d'avoir une fille ... j'ai entendu dire qu'il fallait manger sucré. Demain je t'achète le plus gros des pots de nutella ! »

Tabbie attrape une nouvelle fois la bouteille, pour en boire une gorgée ; bouteille que j'ai vite fait de retirer d'entre ses doigts - encore -. Sourcils froncés.

« T'arrêtes sinon je la vide d'un coup. »