J’entre. Doucement. Lentement. Les personnes assisses me dévisagent toutes, comme si elles m’attendaient puis replongent dans leur néant de pensées. Je m’assois et fais donc de même. Puis les regarde un par un. Il y a une fille. Pas mal. Un garçon. Pas mal. Sa mère ? Pas mal. Ils sont tous pas mal. Je les baiserai bien. A trois. En même temps. Le psychologue arrive. Il sourit, puis m’appelle. Les gens me dévisagent comme si je prenais leur place. Elles doivent pourtant attendre un autre psy. Je m’en fiche. Je me lève, lui sourit et m’avance vers son cabinet.

Il y a un beau siège. Je m’y assois. Je sais qu’il sert à ça. L’homme en face de moi me dit : « Mais ça fait plus d’un mois que tu n’es pas venu ! », j’hoche de la tête, il insiste, je lui réponds « J’étais occupé ». Il sourit. Un long silence. Il casse le blanc : « Alors, comment te sens-tu depuis la dernière fois ? ». Bien, je lui ai répondu. Il a hoché de la tête à son tour puis a dit « Bien, bien. ». Ces séances ne servaient à rien. Ma mère voulait que j’y aille depuis qu’elle-même n’allait pas bien. Comme si son mal-être allait s’estomper si moi, je prenais ce genre de séance. « Je veux te voir aller mieux, mon chéri. » qu’elle m’a dit.

- Raconte-moi. Ce qu’il t’est arrivé depuis. Je veux comprendre.
- Comprendre quoi ?

Les yeux de l’homme en face de moi s’agrandissent.

- As-tu fais des choses à noter, incongrus ou autres depuis ?

Je ris. Quel pervers, ce mec. Je lui réponds des garçons, pour qu’il puisse s’émerveiller d’autant plus. Cet homme s’émoustille de ma vie de débauche – pas plus que dans Skins, mais bon. Les quelques grammes de drogue que j’ai dans la poche doivent l’exciter à un point. La première fois que je suis venu ici, j’y suis allé avec ma mère. J’ai du raconté mon enfance, tout ça. Des conneries. Je lui ai dis que mon père vivait chez moi mais ne me parlait plus depuis qu’il m’avait vu embrassé un garçon. Je ne suis pas gay. Il croit que je le suis. Ca me fait rire. Ensuite, je lui ai dis que je ne me sentais pas très bien. Légèrement déprimé. Sinon cet homme, ce connard, aurait l’impression d’avoir l’argent du simple fait d’une mère un peu flippée par son fils.

- Et, avec ton père ?

Avec mon père, me demande-t-il ? Et bien, rien, le vide. Je crois qu’il est partit en voyage, durant une semaine. Il a fait croire à un voyage d’affaire mais il doit sûrement aller voir une de ses maitresses me semble-t-il. Mon père est un homme d’affaire. Un bel homme affaire. Vous savez, l’homme classe un peu pervers qui peut baiser grâce à son argent ?

Je n’ai pas de frère. Ni de sœur. Je suis seul. J’ai ma mère. Plus mon père. Je n’ai pas vraiment d’amis. Quelques fois. Mais ils me font peur. Je lui raconte que je n’arrive pas à dormir en ce moment. Je lui dis que j’ai essayé avec oreillers. Sans oreillers, aussi. Avec couverture, sans couverture. Par terre. Sur mon lit. Debout. Assis. Il me regarde. Sourit. Me demande pourquoi, ce qui me tracasse. Je lui réponds que j’aimerais savoir mais que je ne sais pas. Il me sourit. Je lui souris.

Je suis né en hiver. Rideau fermé, dans la nuit. Comme si on m’avait caché par honte dés le début. J’aurais pu devenir facilement l’enfant unique gâté à souhait. Je l’étais. J’avais dû faire face aux nombreuses crises de ma pauvre mère qui ne travaillait pas mais qui avait une femme de ménage. Pas le temps. Qui avait une peau si orange, qu’on aurait pu la mettre dans une corbeille à fruit. Les seins si refaits qu’on aurait pu également les mettre dans une corbeille à fruit. Mais plus grande, forcément. Mon père, lui, s’alliait parfaitement avec elle. Costard-cravate tous les jours, à toutes heures. A croire qu’il dormait avec. Je ne le voyais pas souvent. Juste un peu pour ne pas l’aimer. J’étais un enfant modèle.

Je me suis percé les oreilles, une fois. Scandale. Votre fils est-il gay ? Je devais avoir 13 ans et c’était la panique. Puis, un an plus tard, je me suis tatoué « Fuck God » en petit sur le dos et même drame. Mes parents sont catholiques d’apparence. Je me demande où ils iront. Enfin. J’pense qu’on vit dans un tel bordel, dans un tel enfer qu’on ira tous au paradis.

C’était à coup de petite rébellion que j’en étais arrivé là. Petit à petit. Ma mère devait déprimer seule chez elle, à ce moment même. Mon père devait se faire plaisir avec une belle russe de 20 ans de moins que lui. Ou pire, de mon âge. Ma mère m’a appelé, il y a peu « Ca va ? Je m’inquiétais », m’a-t-elle dit. Je lui ai dis que tout était ok. Puis elle m’a demandé « T’es sûr ? ». Je lui ai répété que tout était ok. Elle pleurait. Je ne lui ai pas demandé pourquoi. J’avais trop peur de passer une demi heure au téléphone avec cette vieille cinglée. Malheur. Elle m’avait dit « Pas moi. ». J’ai faillis raccrocher tant je craignais de perdre mon temps. J’ai dis « Raconte. ». Elle m’a raconté. J’ai posé le téléphone. Me suis enfilé une ligne. Repris le téléphone. Tout allait mieux.

Il fallait que je parte. Immédiatement. Dés que je pensais à ma famille, j’avais l’impression que Jack l’Eventreur venait en personne m’éventrait. J’ai dis au connard de pseudo-psychologue que je devais partir. Il m’a dit que je ne pouvais pas et que la séance venait à peine de commencer. J’ai insisté. Il m’a dit « Mais, je vais devoir prévenir votre mère. ». J’ai dis que j’étais majeur. Il a dit « Même. ». Je me suis levé, l’ai alors embrassé. Un petit baiser. Il a apprécié. Il était heureux.

- Mais vous êtes cinglés ! a-t-il crié.

A ben non.

- C’est pour ça que je suis là, enfoiré ! lui ai-je répondu en partant.

En sortant du cabinet, je n’allais pas bien. Il me fallait une petite dose pour passer ce petit moment. Je suis alors rentré dans un restaurant-bar, allé au toilette sans commander. Je me suis assis sur un WC, me suis enfilé une ligne. Mon nez saigna. Je me l’étais sûrement mal enfilé. Mon nez saigna si fort. Le sang coula sur mon t-shirt. Pas de papier toilette. C’est quoi ce putain de bar merdique ? J’aurais bien pu sortir me nettoyer avec le lavabo pour trois WC mais si un enfant ou autres passait par là, je serai accusé de pédophilie ou pire, de crime contre l’humanité, enfin, j’en sais rien.

Je décidais alors de rester là. J’aurais bien pu appeler quelqu’un pour m’aider. Ou pour s’amuser. C’était drôle tout ce sang. Je riais. J’enlevais mon t-shirt et mon torse maigre était recouvert de sang. Je saignais encore plus. Ce moment était trop beau pour être partagé. Mes cheveux noirs un peu long et un peu gras commençaient déjà à coller au carrelage du mur. Mes yeux verts me piquaient légèrement. J’ai commencé à faire des dessins sur mon ventre. Mes doigts étaient rongés de partout. Peut être par un castor. Ou un lapin. Ou un raton-laveur. J’ai écris « I love you » puis en français « Je t’aime » puis j’ai effacé. Je trouvais ça nul. J’ai écris « I don’t love you » puis “I wanna die” puis rien.